Olivier Père

Les Contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi

Les Films sans Frontières ressortent en salles et en copies restaurées mercredi 8 janvier Les Contes de la lune vague après la pluie (Ugetsu monogatari, 1953) de Kenji Mizoguchi. Une occasion rêvée pour bien commencer l’année en revoyant un film aussi sublime que son titre, ce que nous avons fait.

Le Japon à la fin du XVIème siècle. Deux couples de villageois sont pris dans la guerre civile. Kenjuro le potier ne pense qu’à faire fortune, mettant sa femme et son enfant en danger pour protéger ses marchandises contre les pillages des soldats et des pirates qui terrorisent la région. Tobeï le paysan rêve de devenir samouraï et néglige le travail aux champs, au grand désarroi de sa femme qui doit s’acquitter de toutes les tâches. Chassés de leur village les protagonistes partent se réfugier à la ville, mais maris et femmes sont séparés en cours de route. Kenjuro qui a abandonné sa famille durant la débâcle rencontre la princesse Wakasa au marché en vendant ses poteries. Fasciné par la jeune femme il la rejoint dans son manoir. Quant à Tobeï il se ridiculise dans ses efforts pour devenir samouraï et dilapide l’argent du foyer tandis que sa femme est réduite à la prostitution…

A travers plusieurs histoires dramatiques ou fantastiques dans la société féodale nippone (empruntées au recueil de nouvelles de Akinari Ueda, auteur contemporain de l’action mais aussi à Maupassant), Les Contes de la lune vague après la pluie est un film sur la condition humaine, d’une puissance et d’une justesse incomparables, fréquemment cité à juste titre parmi les plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma. Mizoguchi dans ce qui demeure l’un des ses films les plus ambitieux aborde ses thèmes de prédilection : la violence sociale et naturelle, la prostitution, la condition féminine, la lutte de l’homme contre ses propres démons et les obstacles extérieurs. Le cinéaste fustige la course effrénée au profit, la folie guerrière, les rêves de gloire factice. Même s’il n’entre dans aucun genre et propose une forme narrative et visuelle profondément nouvelle, le film intègre des éléments de drame historique et de récit onirique. A deux reprises Kenjuro entre en contact avec des fantômes : une princesse amoureuse qui l’ensorcelle et sa propre femme, qui continue de veiller sur lui et son enfant d’entre les morts, preuve de son indéfectible dévotion. Mizoguchi, grand cinéaste féministe, sublime le courage, l’abnégation et la sagesse de ses personnages féminins soumis à l’égoïsme, la vanité et la faiblesse morale des hommes.

Les Contes de la lune vague après la pluie se termine sur une note d’espoir, avec le retour d’une paix fragile, de l’harmonie entre l’homme et l’univers, le temps de la reconstruction et la promesse d’un bonheur rendu possible par le sacrifice des femmes et la rédemption de leurs époux.

La mise en scène de Mizoguchi, d’une poésie et d’une subtilité infinies exprime à la perfection les sentiments et les tourments des personnages, ainsi que les intentions de l’auteur, par un génie de la composition et des mouvements de caméra. Le propos du cinéaste tend à l’universalité  – c’est la dimension spiritualiste de son cinéma – d’un art qui puise pourtant ses racines dans la culture et l’histoire de son pays. Ce film situé dans le Japon féodal nous parle surtout des catastrophes du XXème siècle. Réalisée dans la période de l’après-guerre le film peut se voir comme une condamnation sans appel de l’esprit belliciste nippon qui amena le pays au désastre, mais aussi comme une mise en garde contre un enrichissement et un commerce sans âme ni conscience, nouvelle forme d’impérialisme guerrier.

 

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