Samedi 26 octobre 2013. Dernière journée de tournage au Louvre du nouveau film d’Alexandre Sokourov. Après avoir investi plusieurs journées (et nuits) les salles du musée, le cinéaste russe tourne dans les couloirs et les bureaux du Louvre. Sokourov a déjà consacré des films à l’Histoire, à la peinture et aux musées, on se souvient de son magnifique L’Arche russe composé d’un plan séquence unique de 96 minutes dans le Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg.
Francofonia, sous-titré Le Louvre sous l’occupation (titre de travail) est un essai cinématographique (ou « récit-fiction sur un sujet historique » comme le définit son auteur) qui se concentre sur la relation de deux hommes autour du célèbre musée : le comte Franziskus Wolff Metternich et Jacques Jaujard.
Le premier, issu de l’aristocratie allemande, sera nommé par le haut commandement de la Wehrmacht à la tête du « kunstschutz » (commission allemande pour la protection des œuvres d’art en France.)
Le second, issu de la bourgeoisie protestante française, haut fonctionnaire de l’administration des Beaux-Arts, sera le directeur du Louvre pendant la période de l’occupation allemande. C’est lui qui organisa le déménagement et la mise en sureté des œuvres du Louvre en province avant que les Allemands ne réquisitionnent le musée.
A travers le récit d’un moment d’histoire, et de la relation entre deux hommes remarquables, ennemis puis collaborateurs, Sokourov explore la relation entre l’art et le pouvoir.
Pour ce nouveau film en forme de méditation sur l’art et la civilisation européenne qui mêlera passé et présent, rêve et réalité, images d’archives, tournage documentaire et prises de vue avec des acteurs, Sokourov a choisi de travailler pour la seconde fois avec le directeur de la photographie français Bruno Delbonnel qui avait signé les images impressionnantes de Faust, précédent long métrage de Sokourov, Lion d’or à la Mostra de Venise en 2011.
L’admiration entre les deux hommes est réciproque et Delbonnel, qui ces derniers temps à surtout travaillé aux Etats-Unis (deux films avec Tim Burton et Inside Llewyn Davis des frères Coen) a rejoint le cinéaste russe sur ce tournage beaucoup plus léger que la grosse machine faustienne – sans parler des productions américaines, mais permettant une très grande créativité visuelle, une invention constante à l’œuvre dans tous les films de Sokourov, qu’ils soient des fictions ou des documentaires.
Le film est tourné en numérique, avec la caméra Arri Alexa, même si Sokourov et Delbonnel préfèrent généralement tourner en 35mm. Comme à son habitude Delbonnel procède dès le tournage à un étalonnage des images du film, permettant ainsi au réalisateur de monter un matériel qui possède déjà une qualité proche du résultat final.
L’équipe de tournage est exclusivement française (le film est une production Idéale audience, en coproduction avec Zero One Film, le Musée du Louvre et ARTE France) à l’exception d’Alexandre Sokourov et ses deux fidèles assistants, dont l’un est chargé de traduire du russe au français toutes les indications du cinéaste aux techniciens et aux acteurs.
Sokourov, toujours calme et concentré, s’exprime avec un mélange de fermeté et de douceur typiquement slave. Sokourov compose ses plans comme un peintre, avec un souci permanent de la précision et du moindre détail, du moindre geste ou de la moindre posture. Le cinéaste invente son film à chaque stade de sa création, et le tournage aussi est le moment de trouvailles et d’idées de mise en scène.
Le producteur Pierre-Olivier Bardet nous prévient en souriant à notre arrivée au Louvre que nous risquons de nous retrouver embauché comme figurant, Sokourov aimant choisir pour des petits rôles ou des silhouettes parfois parmi les amis, techniciens ou visiteurs présents sur le tournage. Ainsi Catherine Limbert, historienne spécialiste de la période évoquée dans le film et de Jaujart s’est vue confier le rôle de la secrétaire de son sujet d’étude. Quant à Jaujart, il est interprété par Louis-Do de Lencquesaing, comédien apprécié dans de nombreux films parmi lesquels Le Père de mes enfants, également metteur en scène de théâtre et de cinéma. Metternich est interprété par l’acteur allemand Benjamin Utzerath. Quelle que soit la profession de la personne devant la caméra, Sokourov ne veut pas filmer des acteurs, mais des êtres humains, voire des âmes, leur accordant une tendresse, une attention particulières.
Quelques jours avant notre visite sur le tournage Alexandre Sokourov nous confiait : « Si à l’instant de ma mort je ne devais retenir que deux choses de la vie, ce seraient la lumière du matin en été et la grande culture européenne. »
Alexandre Sokourov est actuellement en montage. Son film est attendu dans les salles au second semestre 2014. Nous ne manquerons pas d’en parler à nouveau, ici.
Photos de Barbara Fuchs.
Photo en tête de texte : © Jaap Vrenegoor.
Alexandre Sokourov dirige Benjamin Utzerath (Metternich) et Jean-Claude Caër (Germain Bazin) au château de Sourches.
Laisser un commentaire