ARTE diffuse ce soir à 22h20 Les Herbes folles (2009), l’une des grandes réussites récentes d’Alain Resnais, avec sans doute l’une des fins les plus énigmatiques et étonnantes de l’histoire du cinéma, dont on réserve la surprise à ceux qui n’ont pas encore vu le film ou n’en ont pas entendu parler.
Pour de nombreux cinéphiles, Resnais est un auteur essentiel du cinéma moderne européen, l’un de ceux qui firent entrer l’art du XXème siècle dans l’ère du soupçon et du désastre, aux côtés de Rossellini et de Bergman, en osant se confronter aux camps et à Hiroshima dans des films essais mais avant tout des fictions. Son importance historique, son caractère cérébral ne doivent pourtant pas faire oublier la dimension ludique de l’œuvre de Resnais, dont chaque nouveau titre est un jeu avec le récit, la temporalité et les différents éléments sonores et visuels qui composent un film. Et un triomphe de la mise en scène, comme en témoignent ces herbes vraiment folles à la virtuosité et à la direction artistique impressionnantes.
Les Herbes folles est le film d’un jeune octogénaire, débordant de malice, de fantaisie et de sensualité, sorte de chef-d’œuvre en liberté où tout le monde – y compris le spectateur – semble grisé par la brillance du travail de Resnais et le plaisir de travailler avec lui. La filmographie de Resnais est régie par des principes esthétiques stricts, mais aussi l’envie de les transgresser. Ainsi Resnais qui s’était juré de ne jamais adapter de roman tout en collaborant régulièrement avec des romanciers sur des scénarios originaux décide avec Les Herbes folles de porter à l’écran « L’Incident » de Christian Gailly, écrivain proche du courant minimaliste qui comprend également Jean Echenoz, Jean-Philippe Toussaint ou Christian Oster. Est-ce un hasard si Gailly a publié toute son œuvre aux Editions de Minuit ? Cette fidélité à la célèbre maison d’édition montre à la fois la constance du cinéma de Resnais – de Robbe-Grillet à Gailly, en pleine possession de ses propres moyens et en totale empathie avec l’œuvre d’un autre – et son évolution vers un art de moins en moins intellectuel mais toujours aussi intelligent.
Dans ce film traversé par les thèmes du désir et de l’obsession l’influence de Hitchcock, très discrète dans Cœurs, devient plus évidente. On pense à L’Ombre d’un doute, Psychose ou Sueurs froides. Le personnage de Georges interprété par André Dussollier est obsédé par une femme qu’il n’a jamais rencontré, il est traversé par des pulsions sexuelles mais aussi des désirs de meurtre. Georges, marié et père de famille est littéralement « empêché » dans sa volonté de rejoindre la mystérieuse inconnue. L’aliénation des personnages et leur soif de transgression irriguent le récit. On rit beaucoup mais c’est aussi un film angoissant, dont « l’inquiétante étrangeté » rappelle le lien profond du cinéma de Resnais avec Breton et le surréalisme, pictural et littéraire. Ecriture automatique, cadavre exquis, associations d’idées, onirisme… Du surréalisme à Hitchcock nous ne sommes pas très loin non plus de Luis Buñuel puisque Les Herbes folles dresse le portrait de deux fétichistes réunis par leurs fantasmes privés et communs : les chaussures et l’aviation. Le film débute par des plans de pieds féminins essayant des chaussures, avant le vol d’un sac à mains qui va déclencher la suite des événements.
Marguerite (Sabine Azéma) n’avait pas prévu qu’on lui arracherait son sac à la sortie du magasin. Encore moins que le voleur jetterait le contenu dans un parking. Quant à Georges (André Dussollier), s’il avait pu se douter, il ne se serait pas baissé pour le ramasser. Découvrant que la femme propriétaire du sac possède un permis d’aviation, sa grande passion depuis l’enfance, il va chercher à entrer en contact avec elle.
On pourrait dire que Les Herbes folles parle de deux choses : « trouver chaussure à son pied » (le thème de la rencontre) et « s’envoyer en l’air » ce qui finira par se produire, au sens propre comme figuré, dans un film qui débute par un vol (de sac) et se conclut par un vol (d’avion.)
La diffusion sur ARTE des Herbes folles nous offre l’occasion de saluer la parution du superbe livre de Jean-Luc Doin consacré à Alain Resnais aux Editions de La Martinière. Un voyage exhaustif dans l’œuvre du grand cinéaste avec des textes et une iconographie remarquables, complétés par des témoignages de collaborateurs de Resnais, acteurs ou producteurs. Un ouvrage indispensable et un beau cadeau pour tous les admirateurs de l’auteur de Providence (ressorti en salles et bientôt en DVD) et de Hiroshima mon amour (récemment édité en Blu-ray et prochainement sur ARTE.)
De quoi patienter en attendant la sortie du prochain film d’Alain Resnais, Aimer boire et chanter avec les fidèles Sabine Azéma et André Dussollier de nouveau réunis, mais aussi Hippolyte Girardot et Sandrine Kiberlain, et dont la sortie française est prévue le 26 mars 2014.
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