Olivier Père

Furie de Brian De Palma

Furie (The Fury, 1978) vient de sortir dans une superbe édition DVD et Blu-ray chez Carlotta, en version restaurée et des suppléments de qualité. Un occasion rêvée pour replonger dans les sortilèges de ce film fascinant, un peu à part et longtemps occulté – à tort – parmi les titres de De Palma. Furie (The Fury, 1978) échappe à toute classification, même si ce thriller fantastique s’inscrit dans un courant paranoïaque illustré par plusieurs films d’espionnage importants de cette époque, et participe aussi à la mode des thrillers surnaturels. Mais De Palma n’est ni Pollack, ni Pakula, ni Richard Donner et transforme cette histoire d’espion laissé pour mort à la poursuite de son fils enlevé par son ancien associé en cauchemar sanglant mêlant télékinésie, complot œdipien, trahisons en tous genre et constat apocalyptique.

De Palma prolonge certains thèmes et figures de ses précédents films, notamment Carrie au bal du diable pour leur apporter des ramification politiques et psychologiques inattendues. Furie est l’occasion pour De Palma de dresser un tableau très noir des Etats-Unis et de leur politique internationale, avec un personnage d’agent manipulateur et diabolique, « mauvais père » (John Cassavetes) qui trahit son ami interprété par Kirk Douglas et lui vole son fils pour le transformer en surhomme inhumain et indestructible.

Les rebondissements incessants et rocambolesques permettent d’évoquer Hitchcock bien sûr – le motif de l’homme traqué emprunté à La Mort aux trousses – mais aussi les serials muets de Fritz Lang (l’ombre de Mabuse et des Araignées planent sur le film) avec une esthétique expressionniste qui vient pervertir les images banales de l’Amérique contemporaine.

Rarement De Palma aura été aussi inspiré, baroque, excessif, dans la violence visuelle comme dans le pessimisme politique, avec une succession d’épisodes magistralement orchestrés, inventant une mise en scène et une grammaire visuelle hyper sophistiquées où les images sont ralenties, le temps étiré ou disloqué avec de longs et sinueux plans séquences, un savant montage qui entremêle plusieurs temporalités, plusieurs qualités d’images mentales ou réelles. Dans Furie un flash back ou un mouvement de caméra est toujours piégé, investi de forces dramatiques contradictoires, mais toujours d’une beauté à couper le souffle.

Lorsque Jean-Luc Godard crée ses monumentales Histoire(s) du cinéma, le seul extrait appartenant au répertoire du cinéma américain contemporain ou du Nouvel Hollywood est une scène au ralenti de Furie de De Palma (la poursuite et l’accident de voiture). Godard a avoué une fois aimer beaucoup Furie, pour mieux dire du mal de l’ensemble de l’œuvre de De Palma. Et si Godard avait raison ? Et si Furie, longtemps renié par son auteur en raison de son échec critique et commercial, rarement cité par les admirateurs du cinéaste, longtemps jugé imparfait, déséquilibré, brouillon, était le meilleur film de Brian De Palma, le plus fou, le plus beau, le plus courageux ?

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