Présenté samedi soir dans la section « Midnight Madness », The Green Inferno est l’hommage d’Eli Roth aux films de cannibales italiens, ainsi que le prolongement de son diptyque Hostel, sur un mode plus ludique.
Parmi les filons les moins respectables du cinéma d’exploitation européen des années 70 et 80, le film de cannibales possède néanmoins ses titres de gloire appréciés des amateurs tels que Le Dernier Monde cannibale et Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato, Au pays de l’exorcisme ou Cannibal Ferox de Umberto Lenzi.
Cannibal Holocaust surtout s’est imposé comme un titre fameux et emblématique de la mode du cinéma gore au début des années 80, repoussant les limites du représentable et de la bienséance, objet de scandale qui balayait les principes moraux les plus élémentaires avec un cynisme encore plus atroce que ses images. Impossible donc pour Eli Roth de faire mieux – ou pire c’est selon – que son infâme modèle, et il le sait. Si The Green Inferno est beaucoup plus dégoûtant et choquant que la plupart des films d’horreur tournés actuellement, il ne cherche pas à égaler Deodato, ni à pulvériser les records du « torture porn », sous-genre malheureusement lancé par Hostel et sa suite, films qui valent beaucoup mieux que leur engeance illégitime et minable. Pas de viols, de racisme ou de massacres d’animaux réalisés sans trucage dans The Green Inferno, ni de recours aux faux « found footage » ou documentaires bidonnés inventés par Cannibal Holocaust et repris dans de nombreux films de genre depuis Blairwitch Project. On remarquera aussi que The Green Inferno est chaste, sans nudité alors qu’on s’y démembre et dévore allégrement et que le sang gicle à flot, nouvelle preuve que le puritanisme du cinéma américain tolère davantage le meurtre le plus sauvage qu’un sein dévoilé, même au milieu de la jungle.
En revanche, Roth exagère la dimension satirique et sarcastique de son cinéma, déjà présente dans Hostel, en se moquant des relations que les citoyens des Etats-Unis entretiennent ou croient entretenir avec le reste du monde. Après le tourisme sexuel et le délire consumérisme critiqués sur un mode cauchemardesque dans Hostel, c’est au tour de la bonne conscience humanitaire d’être tournée en dérision. De jeunes américains décidés à s’investir dans la juste cause de la sauvegarde de la forêt tropicale et de ses peuplades primitives sacrifiées sur l’autel du capitalisme et du monde moderne. Les militants écologistes amateurs découvriront plus tard qu’ils ont été manipulés par un faux leader charismatique et une vraie fripouille.
Cet argument permet à Roth d’inverser différentes situations pour aboutir à un retournement cruel qui verra les amis des Indiens entre les mains d’une tribu de cannibales. Beaucoup moins sérieux que dans Hostel, Eli Roth donne libre cours à sa veine potache, prétexte à des scènes sanguinolentes mais aussi d’humour scatologique dignes des sexy comédies de série Z dont le réalisateur semble également être friand. Véritable plaisir coupable, The Green Inferno ne s’impose pas comme le grand film d’horreur qu’il aurait pu être, moins radical que les deux Hostel, malgré des séquences d’anthologie qui rivalisent en cruauté et en hystérie avec leurs modèles signés Deodato et ses imitateurs. Mais il assoit aussi le statut particulier du mauvais sujet Eli Roth, bouffon, vulgaire et décomplexé, porteur d’un véritable regard ironique sur son pays et les travers ridicules de notre époque, et qui permet d’affirmer que sur le plan politique il n’est pas un réalisateur si anodin que cela.
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