Olivier Père

You’re Next de Adam Wingard

Découvert dans la section « Midnight Madness » du Festival de Toronto en 2011, You’re Next (distribué demain dans les salles françaises par Synergy Cinéma) est une excellente surprise qui confirme qu’il faut rester attentif à la scène du cinéma d’horreur indépendant américain, qui se développe loin de la dictature des suites et des remakes des studios hollywoodiens spécialisés dans le genre. Adam Wingard s’était déjà fait remarquer avec ses précédents films d’horreur à tout petit budget, Home Sick, Pop Skull et An Horrible Way to Die. Wingard fait partie de la constellation de cinéastes qui sont en train de redonner une véritable énergie au cinéma indépendant US, travaillent souvent ensemble (échangeant les casquettes d’acteurs, scénaristes et réalisateurs) et ne négligent pas les genres cinématographiques comme la comédie, le fantastique et même l’érotisme, en les confrontant à l’esthétique « mumblecore » (tournages fauchés, acteurs semi-professionnels, dialogues improvisés, hyper naturalisme de l’interprétation et de la mise en scène, tics du cinéma-vérité).

Ces cinéastes se nomment Larry Fessenden, Joe Swanberg (prolifique réalisateur, acteur de complément notamment dans You’re Next), Ti West (auteur du remarquable The House of the Devil et du décevant The Innkeepers), les frères Duplass – Cyrus – ou Andrew Bujalski (Computer Chess, apprécié au Festival de Berlin et encore inédit en France.) Ils sont quasiment inconnus en Europe et bénéficient d’une notoriété confidentielle aux Etats-Unis, où leurs films (souvent inégaux il faut bien le reconnaître) connaissent une diffusion très limitée dans les salles et les festivals, essentiellement disponibles en DVD. Il est possible qu’un film comme You’re next, le plus réussi de son auteur, accélère la reconnaissance critique et publique de cette « nouvelle vague underground américaine » hors des frontières des Etats-Unis, et celle d’Adam Wingard en particulier. Le film s’inscrit dans le sous-genre des films d’agression en huis clos, très vivace dans les années 70 (on pense immédiatement à Fright de Peter Collinson). Un jeune homme emmène sa nouvelle fiancée à la soirée d’anniversaire de ses parents, un couple bourgeois qui vit dans une opulente et confortable maison de campagne. Il y retrouve ses deux frères et leurs compagnes. Les inimitiés entre les trois frères aux personnalités et aux carrières très différentes ne tardent pas à apparaître, créant une atmosphère pesante entre les membres de la famille. On peut être irrité par ce préambule qui reproduit les pires travers du cinéma inde contemporain (caméra tremblotante, lumière laide, direction approximative des comédiens), même si une séquence pré générique angoissante et réussie (le meurtre d’un couple dans sa maison) avait attisé notre curiosité. Ces réserves s’évaporent dès la fin du repas, lorsque la famille est attaquée par des jets de flèches brisant les fenêtres du salon et semant la panique parmi les survivants, qui vont tenter de s’organiser pour échapper aux assauts répétés de tueurs invisibles. Dans la tradition des « slashers » des années 70 et 80, le film enregistre la décomposition d’un groupe humain, dont les membres sont éliminés un par un avec une brutalité extraordinaire. Les assaillants, qui portent des masques d’animaux, utilisent une grande variété d’armes blanches (de l’arbalète à la hache) pour massacrer, sans motif apparent, leurs victimes, ce qui donne lieu à une série de meurtres particulièrement graphiques, sanglants et imaginatifs. La mise en scène accentue le réalisme et la violence des attaques, et se révèle d’une grande efficacité. L’humour n’est pas absent, notamment dans les dialogues, mais il exclue toute forme de parodie ou d’atténuation du suspens. Le film réserve de nombreuses bonnes surprises, jusqu’à sa dernière image. Devant autant de cruauté et de cynisme (le coup de théâtre final révèle que la cupidité la plus immorale est la cause du massacre), on ne peut s’empêcher de penser au chef-d’œuvre de Mario Bava, La Baie sanglante (1971), qui lui aussi orchestrait l’élimination systématique de tous ses protagonistes, pour de vils motifs d’argent et d’héritage. Qu’un des plus beaux films d’horreur du cinéma italien, précurseur moderne et radical de la mode du gore, inspire pour le meilleur le renouveau du genre aux Etats-Unis, voilà de quoi faire plaisir aux cinéphiles, qui doivent désormais surveiller de plus près ce courant alternatif made in USA.

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