L’ACID, c’est l’Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion. L’ACID c’est aussi le « off du off » durant le Festival de Cannes, avec depuis dix-neuf ans la programmation parallèle de neuf longs métrages, la plupart du temps en quête de distributeurs français. Il serait bon que cette section parallèle gagne enfin en visibilité et en reconnaissance car elle démontre depuis quelques années une vitalité grandissante, avec souvent de (très) bons films de jeunes auteurs français qui auraient pu prétendre à une sélection plus officielle, par exemple Les jours où je n’existe pas (2002) de Jean-Charles Fitoussi, Mods (2002) de Serge Bozon, L’homme qui marche (2007) d’Aurélia Georges… Cette année au moins deux films à voir à l’ACID : La Bataille de Solférino de Justine Triet (on en parlera bientôt) et 2 Automnes 3 hivers de Sébastien Betbeder, deux films qui parlent à leur manière de la France d’aujourd’hui, deux films interprétés par Vincent Macaigne, en train de devenir une sorte de héros moderne comme Jean-Pierre Léaud, Gérard Depardieu ou Mathieu Amalric avant lui.
Sébastien Betbeder signe avec 2 Automnes 3 hivers l’un de ses films les plus accomplis. Une histoire simple (deux amis, la rencontre avec une fille, le passage de saisons) mais une forme originale pour la raconter. Musicalité, préciosité du style, humour triste et goût des mots qui n’appartiennent qu’au cinéaste confèrent à 2 Automnes 3 hivers un charme tenace et très particulier. Sébastien Betbeder est un auteur un peu trop discret, parions que ce nouveau film permettra de mieux faire connaissance avec une voix singulière du jeune cinéma français. Nous avons aimé 2 Automnes 3 hivers qui nous a donné envie de poser quelques questions à son réalisateur.
Entretien avec Sébastien Betbeder
Votre film existe aussi sous la forme d’un moyen métrage, avec un titre différent, pouvez-vous nous en dire plus sur la genèse et la production de ce projet, et sur les raisons des deux versions ?
2 Automnes 3 hivers a été produit comme un court métrage avec le soutien du CNC, d’ARTE et de deux régions, dans une économie plus que faible. Le document ayant servi à la recherche de financement n’avait pas grand-chose à voir avec un scénario classique. Il s’agissait d’une succession de monologues associés à des images, comme autant de pistes pour une mise en scène à venir. Je me suis refusé, avant la préparation (avant de connaître les lieux et les comédiens), à « séquencer » le film. Je souhaitais garder une fraîcheur, une souplesse qui correspondaient pour moi à la nature du projet. En l’état, le film qui se devinait n’avait pas de durée précise et sa forme restait mystérieuse. Nous avons décidé, avec mon producteur, de frapper aux guichets du court métrage, avec cette idée – peut-être naïve -, que nous aurions à faire à des personnes plus ouvertes à une telle proposition. Nous avions le désir aussi de tourner vite, de ne pas nous perdre dans des considérations économiques et commerciales. Les réponses ont été immédiates et positives. Nous sommes partis en tournage avec un budget – certes « petit » – mais avec une liberté et – presque – sans comptes à rendre. Au final le film dure 1h30 ; nous avons gardé l’essentiel de ce qui préexistait dans l’étrange document de base (digressions comprises). Ce format découle de ce qu’il s’est passé au tournage, au montage. Pour moi, aujourd’hui (nous venons de finir la postproduction, il y a de cela quelques jours), il s’agit de l’unique version du film, la seule que je revendique.
Avec une construction en chapitres, des interventions régulières des comédiens face à la caméra qui scandent le récit par leur commentaires et apostrophes aux spectateurs, vous explicitez la dimension romanesque et littéraire de votre cinéma, une forme originale de mise en scène. Est-ce quelque chose que vous voulez continuer de film en film ?
Cette forme particulière était à l’origine de 2 Automnes 3 hivers. En m’aventurant dans ce projet, j’avais pour ambition de brasser trois années de la vie de mes personnages. Je voulais que le récit soit dense, qu’il alterne des moments graves et cruciaux dans l’existence de ces jeunes gens, et, des moments plus anecdotiques, sans réelles incidences sur leur parcours. Je voulais pouvoir parler à la fois de la mort et des courses au « Symply Market » ; de l’amour et des émissions de téléréalité. Pour cela, il me fallait une forme qui puisse offrir aux comédiens une liberté de ton et une partition pour passer d’un état à un autre. Les chapitres, l’adresse caméra étaient des procédés de mise en scène idylliques. Ils avaient aussi l’avantage de pouvoir faire une grande place à la comédie, à une forme d’humour que je revendique. Et puis, il y avait ce rapport aux spectateurs à trouver, cette intimité dont dépendait la réussite du film. Lorsqu’un personnage vous regarde dans une salle de cinéma quelque chose d’inédit se passe, quelque chose de magique, un lien indestructible, comme un pacte. Aujourd’hui qu’il est terminé, je pense sincèrement que le film doit tout autant à Wes Anderson (je suis très admiratif de Moonrise Kingdom) qu’à des grands cinéastes formalistes tels que Marguerite Duras et surtout Alain Resnais. Je ne sais pas encore si ce dispositif sera dans mon prochain film (c’est une question qui m’occupe beaucoup l’esprit en ce moment !), mais ce qui est certain c’est que j’ai pris goût à cette écriture.
Etes-vous synchrones avec vos personnages ? Voulez-vous dresser l’état des lieux d’un certain désarroi social et sentimental d’une génération de trentenaires ?
J’ai écrit 2 Automnes 3 hivers dans un temps court, dans un état de joie et d’ivresse, inédits jusqu’alors dans mon travail. J’ai repensé à mes quinze dernières années, à ma propre vie, à celle de ceux qui ont compté pour moi, à ces moments heureux, aux épreuves traversées. Arman, Amélie, Benjamin et les autres sont des espèces d’êtres hybrides : mélange de mes propres souvenirs et d’hommages aux amis, aux proches. J’espère que le film rend compte du désarroi dont vous parlez. J’ai mené à bien ce projet pour pouvoir partager quelque chose d’un état de la société dans laquelle je vis, témoigner modestement d’une époque qui se finit, d’un rapport à l’autre qui a muté : nous aimons différemment en 2013, nous pensons différemment la mort. Nous sommes de moins en moins insouciants. Tout cela est troublant, angoissant parfois.
Votre film développe un certain art de la citation, différent de ce qu’on a l’habitude de voir au cinéma. Pouvez-vous nous en parler ?
Le cinéma, la littérature, les arts en général, font partie de ma vie depuis que je suis en âge d’appréhender la proposition d’un artiste. Certaines œuvres m’ont aidé à grandir. Il en est de même pour les personnages de 2 Automnes 3 hivers. Je trouve étrange que la citation soit si peu usitée au cinéma, comme si la plupart des films étaient vierges de toute référence, étaient réalisés dans un état mystique ! Pour moi, la citation est joyeuse ; j’ai un plaisir communicatif à laisser la place dans 2 Automnes 3 hivers à l’extrait d’une œuvre qui a compté pour moi. J’aime l’idée, avec La Salamandre, de pouvoir créer des liens entre Pierre et Paul, héros du film d’Alain Tanner, et Benjamin ou Arman. La citation permet aussi de dire sans dire, de semer des indices quant aux caractères des personnages. Savoir qu’ils ont été émus par Funny People de Judd Apatow, qu’ils ont écouté Joy Division, ou qu’ils occultent l’existence de Sarkozy, est plus explicite sur leur vision du monde et de la société qu’un long discours !
En tant que cinéphile ou spectateur, quel est le film que vous attendez le plus à Cannes cette année, qui vous fait rêver avant de l’avoir vu, ou que vous avez déjà vu et que vous trouvez formidable ?
Il y a, dans la compétition, deux cinéastes dont j’admire le travail et dont je suis impatient de découvrir les films. Il s’agit de Kore-Eda et de Jia Zhangke.
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