The President’s Last Bang (Geuddae geusaramdeul, 2005) est projeté dimanche 28 avril à 20h au Centre Pompidou, dans le cadre de la carte blanche à Albert Serra. L’occasion de revoir ou de découvrir un titre essentiel du cinéma contemporain.
Im Sang-soo (né en 1962) est l’enfant terrible du nouveau cinéma coréen. Si ses derniers films sont problématiques et ont peiné à convaincre (The Housemaid, L’Ivresse de l’argent) ses premiers longs métrages Tears et Girls’ Night Out et l’excellent Une femme coréenne proposaient des radioscopies acerbes des mœurs et de la société coréenne. Le boom économique, la modernisation du pays, mais aussi la rémanence d’une certaine crudité dans les rapports sentimentaux et amoureux entre hommes et femmes sont alors au cœur du cinéma comportementaliste d’Im Sang-soo, particulièrement sensuel et concret, chargé d’une grande énergie vitale et sexuelle.
Dans The President’s Last Bang Im Sang-soo abandonne l’étude de mœurs pour le thriller politique et la reconstitution d’un événement traumatique de l’histoire récente de la Corée du Sud. Mais son humour grinçant, sa virtuosité de metteur en scène et son regard critique sur son pays atteignent ici des sommets.
Le 26 octobre 1979, à Séoul, le Président Park, autocrate notoire, s’apprête à passer une soirée très privée dans sa résidence d’état, en compagnie de sa garde rapprochée et de jolies jeunes femmes. C’est ce moment qu’à choisi un de ses plus fidèles collaborateurs et amis, Kim Jae-gyu, directeur des services secrets coréens (KCIA) pour organiser avec quelques hommes de main l’assassinat du Président. Le film relate avec fidélité le déroulement de la nuit, de la mise à exécution de l’attentat jusqu’à l’arrestation des meurtriers et auteurs de ce putsch raté. Tout en choisissant de donner la vedette à Kim Jae-gyu, il ne prétend pas apporter d’explications aux motivations et aux raisons profondes de ce coup de théâtre sanglant qui secoua la nation mais dont on ignore encore le degré de préméditation. Complot mûrement planifié ou accès de folie (Kim Jae-gyu est montré comme un paranoïaque et un névrosé, tourmenté par sa prostate) ? Le film, par sa dimension grotesque, laisse entendre les deux hypothèses. Les personnages de politiciens, militaires et gardes du corps sont souvent ridiculisés, présentés comme des pantins aussi idiots que dangereux, et Im Sang-soo donne libre court à son goût pour le sarcasme et l’irrévérence. Le titre du film en témoigne : le dernier « coup » du président, c’est le coup de pistolet qui l’a achevé et aussi le « coup » qu’il a tiré avec une prostituée cette nuit-là. Le caractère profondément coréen du film et de son sujet n’a pas empêché d’évoquer, à juste titre, le Docteur Folamour de Kubrick, le cinéma américain des années 70 (Coppola, Frankenheimer) et même Shakespeare. The President’s Last Bang possède en effet tous les atouts des meilleurs thrillers (atmosphère paranoïaque, violence déchainée et opératique des scènes d’action, aucun temps morts), la rigueur et la complexité des meilleurs films historiques.
Dans son pays, le film a provoqué un énorme scandale politique, s’attirant les foudres des hommes d’état encore en vie et qui étaient en fonction au moment du drame, et de la propre fille du président défunt. Victime de la censure, le cinéaste dut procéder à des coupes, notamment lors du générique de début qui montrait des images d’archives des funérailles nationales. Le « director’s cut » fut rétabli après la présentation cannoise et la sortie du film, on peut désormais la voir en DVD (éditions Potemkine) et c’est cette version qui sera projetée demain à Beaubourg dans le cadre de la carte blanche à Albert Serra. J’avais montré The President Last’ Bang à la Quinzaine des réalisateurs en 2005 et revu le film dans sa version « director’s cut » en 2008 dans un festival à Séoul. Albert Serra était là et c’est à cette occasion qu’il découvrit le film d’Im Sang-soo. Je me souviens de sa réaction enthousiaste à la fin de la projection, trouvant le film génial et le meilleur film sur la politique jamais réalisé avec Terre en transe de Glauber Rocha.
« Un démonstration débordante de talent, un étrange mélange de légèreté et de profondeur, de vérité et d’exagération. La réalité de la haute politique ne doit pas être si éloignée de ce que décrit Im Sang-soo. » (Albert Serra à propos de The President’s Last Bang)
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