Olivier Père

L’Homme sans passé de Aki Kaurismäki

Ce soir à 20h50 ARTE propose le beau film de Aki Kaurismäki L’Homme sans passé (Mies vailla menneisyyttä, 2002). Le Finlandais Aki Kaurismäki est un cinéaste talentueux et profondément honnête apparu dans les années 80. Ceux qui ont mal vu les films de Kaurismäki ont parfois critiqué une filmographie inégale, des titres mineurs ou trop parodiques (comme la saga des « Leningrad Cowboys »)… Mais l’on sait depuis Fassbinder que la somme de films imparfaits peut produire une œuvre importante. On ne saurait non plus réduire le travail de Kaurismäki à un petit commerce postmoderne où se mêlerait folklore populiste, musique rockabilly, citations cinéphiliques et humour éthylique. Sous sa modestie de façade et son autodérision, Aki Kaurismäki est un styliste capable de mettre en scène avec une formidable économie de moyens, en noir et blanc ou en couleur, des films à l’impressionnante beauté plastique. Le soin maniaque apporté au cadre et à la lumière, la rigueur de chaque plan, la précision et la subtilité des dialogues contredisent la désinvolture apparente du cinéaste et sa réputation de farceur. Kaurismäki vénère le cinéma muet, Chaplin, Ozu, Bresson, Dreyer, De Sica, Melville. Conscient d’arriver un peu tard dans l’histoire du cinéma, il préfère se contenter de mettre en scène des bons films plutôt que d’impossibles chefs-d’œuvre. Au-delà de l’exotisme finnois son cinéma devient vite le chantre des asociaux, des prolétaires, des habitants des faubourgs, avec des films poétiques qui allient lutte des classes, culture populaire, humour noir, scepticisme inquiet à l’encontre du monde moderne et un goût prononcé pour le mélodrame révolutionnaire.

L’Homme sans passé compte parmi les grands succès critique et public de Kaurismäki, acclamé au Festival de Cannes où il obtint le Grand Prix et le prix d’interprétation féminine pour son actrice fétiche, la toujours formidable Kati Outinen. Pour Kaurismäki cinéaste nostalgique par excellence être frappé d’amnésie comme son personnage principal, dévalisé et agressé par des voyous à son arrivée à Helsinki, est sans doute la pire malédiction qui puisse arriver à un homme. Mais quand on ne possède pas grand-chose, c’est aussi une occasion de découvrir le monde avec un regard neuf et repartir à zéro, en se créant une nouvelle famille parmi les mendiants de la ville. C’est la raison pour laquelle L’Homme sans passé est l’un des films les plus optimistes de Kaurismäki qui aborde son sujet avec son sentimentalisme habituel mais en évacuant dès le début la cruauté et la violence, pour se concentrer sur le thème de la solidarité.

Kaurismäki ne renonce en rien à sa radicalité esthétique et politique, mais il propose ici un versant lumineux et idéaliste à des œuvres beaucoup plus sombres comme Au loin s’en vont les nuages, film génial de 1995 et premier titre de la « trilogie des perdants » qui se poursuit avec le film de ce soir et se termine avec Les Lumières du faubourg (2006), de l’avis général moins réussi que les autres.

 

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