Olivier Père

La Grande Course autour du monde de Blake Edwards

ARTE diffuse ce soir à 20h50 La Grande Course autour du monde (The Great Race, 1965) de Blake Edwards.

On connaît la passion de Blake Edwards pour le « slapstick », le cinéma burlesque muet impliquant une part de violence physique (la série des « Keystone Cops » de Mack Sennett par exemple) et dont il s’est beaucoup inspiré notamment pour sa série des « Panthère rose » avec Peter Sellers, mais aussi dans des films moins célèbres comme Un sacré bordel (A Fine Mess, 1986).

Avec La Grande Course autour du monde il déclare son admiration aux pionniers du gag acrobatique, de la grimace et de la bataille de tartes à la crème. Sans ambiguïté le film débute par une dédicace à « Messieurs Stan Laurel et Oliver Hardy », témoignant d’un véritable respect pour ces deux génies comiques qu’on peut légitimement désigner comme des grands inventeurs de l’art cinématographique. Le générique qui parodie les cartons des films muets est à lui seul une note d’intention de Blake Edwards : évoquer la belle époque du cinéma avant l’arrivée du parlant, contemporaine de l’action La Grande Course autour du monde (qui se déroule en 1908) mais avec les moyens techniques et l’esthétique des années 60, CinemaScope et Technicolor. Cette décennie fut marquée à Hollywood par les superproductions historiques couteuses et flamboyantes, qui souhaitent en mettre plein la vie aux spectateurs avec une débauche de couleurs, de stars, de décors et de costumes, que ce soit dans le registre de la comédie, du drame ou du film d’aventures.

Blake Edwards n’échappa pas à cette mode du grand spectacle « Barnum » avec La Grande Course autour du monde et Darling Lili (1970), comédie musicale située durant la Première Guerre mondiale à redécouvrir mais qui fut un gigantesque flop commercial, contrairement au film de ce soir.

La Grande Course autour du monde

La Grande Course autour du monde

Si Edwards emploie les grands moyens, il le fait avec l’élégance, le sens du rythme et la subtilité qui sont ses qualités en toutes circonstances, y compris dans la farce. On reste ébloui par la beauté de la direction artistique du film, qui ose une stylisation extrême du tournage en studio et des artifices cinématographiques – lorsque nos héros flottent sur un bout de banquise par exemple – sans jamais sombrer dans le ridicule. Au contraire, le film en devient poétique. Ce qui aurait pu être une lourde et longue blague (le film dure 146 minutes, 160 dans sa première version) entre les mains d’un autre réalisateur moins talentueux devient un enchantement pour les yeux et l’esprit grâce à Blake Edwards et ses comédiens. Le cinéaste réunit le duo de Certains l’aiment chaud cette fois-ci en concurrents lancés dans une course automobile farfelue. Blake Edwards a travaillé plusieurs fois avec Tony Curtis et Jack Lemmon séparément et ils rivalisent ici de drôlerie, accompagnés d’une Natalie Wood en suffragette à faire rougir le loup de Tex Avery. Jack Lemmon emporte le morceau avec son interprétation hystérique du méchant professeur Fate, parodie des traîtres de mélodrame. Avec son associé Max (Peter Falk) ils constituent un nouveau couple masculin sado-masochiste, à l’instar de leurs modèles avoués Laurel et Hardy. La scène de tartes à la crème multicolores est un hommage à celle de La Bataille du siècle (The Battle of the Century, 1927) de Clyde Bruckman. C’est l’une des nombreuses citations cinématographiques du film dont le troisième acte s’amuse à pasticher Le Prisonnier de Zenda (Fate découvre qu’il est le sosie du prince débile d’un royaume d’Europe Centrale que des conspirateurs veulent renverser.) La Grande Course autour du mondedevient alors un serial avec duels, kidnappings et rebondissements. Le très beau film de Blake Edwards n’est pas seulement un périple autour du monde, c’est aussi un voyage dans le temps et à travers l’histoire du cinéma. Edwards, premier cinéaste cinéphile américain ?

Natalie Wood dans La Grande Course autour du monde

Natalie Wood dans La Grande Course autour du monde

La Grande Course autour du monde sera suivi sur ARTE à 23h15 d’une deuxième comédie américaine formidable, Artistes et Modèles de Frank Tashlin avec un autre couple mythique, Jerry Lewis et Dean Martin, dont on a déjà parlé ici :

 

https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2012/11/02/artistes-et-modeles-de-frank-tashlin/

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