On a quitté Berlin après avoir vu ce qui restera sans doute le meilleur film du festival : Nobody’s Daughter Haewon (Nugu-ui Ttal-do Anin) quatorzième long métrage d’Hong Sangsoo. Un an après le très beau In Another Country on retrouve le cinéaste coréen à la régularité de métronome dans une forme étincelante. Nobody’s Daughter Haewon est un petit chef-d’œuvre et il n’y a rien de péjoratif dans cet oxymoron. Hong Sangsoo n’a jamais cherché à impressionner par de grands effets de mise en scène et pourtant qui aujourd’hui peut revendiquer une écriture cinématographique aussi originale, poétique et inventive ? Avec Hong Sangsoo le spectateur éprouve la sensation agréable d’avancer en terrain connu avec néanmoins à chaque nouveau film le plaisir de découvrir de subtiles variations ainsi que des échos aux titres précédents.
Ainsi dans Nobody’s Daughter Haewon a-t-on la surprise de croiser Jane Birkin dans son propre rôle, en touriste flânant dans les rues de Séoul. Après Isabelle Huppert multipliée par trois dans In Another Country, c’est au tour de la chanteuse et actrice anglaise de faire une apparition inattendue dans l’univers d’Hong Sangsoo. Mais elle est de courte durée et surtout elle se révèle fantasmée dans un songe de l’héroïne du film, Haewon, qui s’est endormie sur sa table de travail dans un café. On dort et on rêve beaucoup chez Hong Sangsoo, et d’autres séquences oniriques viendront rythmer le récit des aventures sentimentales d’Haewon. On imagine sans trop de peine que ce film est né de la fascination du cinéaste pour son interprète principale, la magnifique (le mot est faible) Jeong Eun-chae, jeune actrice et mannequin coréenne, et qu’il a brodé une intrigue autour de la personnalité et du physique de son héroïne, et peut-être de sa propre vie. Haewon est une jeune étudiante à la beauté exceptionnelle. Mais c’est avant tout une belle personne, intelligente et gaie. Comme dans tout film de Hong Sangsoo qui se respecte elle vit une liaison compliquée avec son professeur de cinéma, un réalisateur marié qui enseigne à l’université. Mais rares sont les hommes qui restent insensibles à son charme et elle fera d’autres rencontres masculines au cours du film, souvent dans les mêmes lieux et avec des effets de rimes et de répétitions qui scandent les derniers films en date de Hong Sangsoo. Si Hong Sangsoo s’appelait Renoir, Nobody’s Daughter Haewon s’intitulerait « Haewon et les hommes » (un titre qu’on peut souffler au futur distributeur français.) Mais Haewon est désignée comme la fille de personne. Elle a une mère qu’on voit au début du film et qu’elle aime avec tendresse, mais son père reste un mystère. Sa beauté, sa grande taille la rendent impopulaire auprès des autres étudiants qui la suspectent d’être une métisse, une étrangère. Haewon, courtisée et désirée n’en est pas moins seule, toujours à la recherche de l’amour, le vrai.
Malgré quelques moments très drôles sans doute Hong est-il d’humeur moins joueuse et joyeuse que pour In Another Country dans ce nouveau et mélancolique portrait de femme. On l’imagine ému par son actrice et cette émotion se voit à l’écran comme de l’amour. Sentiment que le spectateur n’a pas de mal à partager avec le cinéaste qui confirme qu’il est un grand peintre des relations entre les hommes et les femmes. L’ivresse que procure le cinéma d’Hong Sangsoo, pour une fois, n’a pas seulement à voir avec les vapeurs de soju. Jeong Eun-chae est filmée comme Anna Karina dans les films de Godard, avec beaucoup de délicatesse. On sort bouleversé de Nobody’s Daughter Haewon, la 7ème symphonie de Beethoven écoutée sur un radio cassette pourri dans la tête, en on en veut encore.
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