Les séances « cinéma bis » sont depuis presque vingt ans une institution à l’intérieur d’une institution, la vénérable Cinémathèque française. Créés par Jean-François Rauger, directeur de la programmation, ces rendez-vous bimensuels, grande messe du vendredi, offrent un voyage sans fin dans les enfers (les entrailles) du cinéma populaire, riches en perles noires et en joyaux de contrebande. Ce soir à partir de 20h vous pourrez découvrir un double programme de choix autour d’une figure incontournable de l’assassin de série B : l’éventreur. Que ce soit le plus célèbre d’entre eux, un certain Jack, tueur en série responsable d’au moins cinq meurtres de prostituées en 1888 dans le quartier pauvre de Whitechapel à Londres, et qui ne fut jamais démasqué ou ses émules déviants ou postmodernes. Jack l’éventreur inspira de nombreux films et téléfilms, celui présenté ce soir est peut-être le meilleur : Jack l’éventreur (Jack the Ripper, 1959) de Robert S. Baker et Monty Berman, duettistes qui signèrent ou produisirent quelques beaux films de terreur (Le Sang du vampire, L’Impasse aux violences) en marge et un cran en dessous des studios Hammer. Jack l’éventreur est leur titre de gloire, sans doute la version la plus sordide et réaliste des exploits du tueur au bistouri, l’un des tous premiers exemples de cinéma d’horreur britannique n’ayant pas peur de se complaire dans la laideur et la trivialité (Norman J. Warren et Pete Walker poursuivront la tradition dans les années 70.)
Variation malsaine sur le thème du tueur de femmes, L’Éventreur de New York (The New York Ripper, 1982) est l’ultime réussite de Lucio Fulci, le pape du gore transalpin, symbiose monstrueuse entre ses « gialli » des années 70 et ses films d’horreur illogiques et sanguinolents du début des années 80. Sans doute l’un des films les plus dérangeants jamais réalisés, L’Éventreur de New York est un voisin de cellule du Maniac de William Lustig (mémorables séquences dans le métro communes au deux films), à ne pas mettre sous tous les yeux. Le psychopathe à l’identité mystérieuse profère des menaces et des insanités avec une voix de canard. Cette étrange manie qui sera expliquée à la fin du film renvoie à un autre thriller du cinéaste italien, La Longue Nuit de l’exorcisme, dont le titre original était Non si sevizia un paperino (« on ne torture pas un caneton »). Comprenne qui pourra.
En attendant les débordements sadiques qui vont éclabousser l’écran de la grande salle Henri Langlois avant minuit, laissons la parole à deux spécialistes connus de nos services :
« Thriller sous-estimé et inattendu entièrement tourné à New York, L’Éventreur de New York renoue avec les perversions vénéneuses du « giallo », terreur réaliste d’un « slasher », loin des déambulations zombiesques. Fulci filme la métropole, dans toute la déviance caractérisée par les années 1980 : reprenant au sens littéral l’expression « la ville de tous les possibles », Fulci s’attache à explorer les bas-fonds où couve une violence surdimensionnée, fantastique, orchestrées par les artifices de Di Girolamo (qui sera présent aussi dans le malheureux Zombi 3). » (Emilie Cauquy)
« Avec L’Éventreur de New York, Lucio Fulci modernise le mythe, en 1983, et plonge son tueur dans l’Amérique des années 1980. Une Amérique cauchemardesque et fantasmée, celle d’un cinéaste italien qui a souvent restitué une image stylisée de celle-ci (Perversion Story, Frayeurs, L’Au-delà) tout au long de sa carrière. Le film de Fulci dépasse la trilogie « fantastique gore » qui a fait sa gloire auprès des amateurs en intégrant la violence graphique dont il s’est fait le spécialiste dans un environnement familier, un monde sans qualité et sans horizon. Mais le plus perturbant est sans doute moins le catalogue d’atrocités physiques et de pulsions à l’état brut que le film met en scène que l’irruption, in extremis, d’un pathétique inattendu et désespéré. » (Jean-François Rauger)
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