Olivier Père

Une nuit en enfer de Robert Rodriguez

Studiocanal sort Une nuit en enfer (From Dusk Till Dawn, 1996) de Robert Rodriguez dans une belle édition Blu-ray bourrée de suppléments. Une nuit en enfer est avec True Romance et Tueurs nés l’un des trois scénarii écrits par Tarantino à l’orée de sa carrière et dont la mise en scène fut confiée à d’autres réalisateurs. Si le résultat final de Tueurs nés échappa au contrôle du jeune scénariste, dépassé par des considérations « artistiques et politiques » d’Oliver Stone divergentes des siennes, True Romance et Une nuit en enfer, fleurons de la culture vidéo club du début des années 90, vus par les adolescents du monde entier, obéissent à la même vision du cinéma, superficielle, ludique et décomplexée, qu’un projet comme Kill Bill, sans en avoir les travers cyniques et mégalomanes. Une nuit en enfer du sympathique cancre Robert(o) Rodriguez, écrit, produit et interprété (il se réserve le rôle d’un tueur psychopathe) par Tarantino est un hommage aux films d’horreur italiens des années 80 (en particulier les deux Démons de Lamberto Bava produits par Dario Argento), une blague de potache très divertissante qui possède la qualité de ne pas se prendre au sérieux. Dans le commentaire audio proposé par le Blu-ray Tarantino confirme que son scénario fut conçu comme un hommage au cinéma d’exploitation des années 70 et 80, quand personne ne s’y intéressait vraiment hormis les fans de séries B et Z, tandis que Rodriguez évoque un folklore vampirique typiquement mexicain. Le film est plus curieux qu’il n’y paraît en raison de sa construction. Scindé en deux parties presque égales, il commence comme un film noir à la Peckinpah, avec la cavalcade sanglante de deux frères braqueurs qui kidnappent une famille et s’enfuient vers le Mexique, et se conclut comme un huis clos gore où nos antihéros débarquent dans un bouge infesté de vampires latinos et se livrent à un massacre en règle dans la grande tradition des films de démons et zombies, prétexte à un déluge de maquillages spéciaux, d’hémoglobine et de fluides visqueux. Cette coupure aussi violente qu’inattendue, inexplicable et très surprenante dans le contexte d’un pastiche de film de drive-in, annonce la coupure qui interviendra au milieu de Boulevard de la mort, le plus beau film – et le plus expérimental – de Tarantino. Mais il y eut quelques précédents comme Course contre l’enfer de Jack Starrett en 1975, sorte de road movie d’action qui se terminait en thriller d’épouvante. Véritable fantasme de « geek » cinéphile, Une nuit en enfer démontre que le système Tarantino fonctionnait déjà à plein régime en 1994 et que ce film souvent considéré comme un navet est plus symptomatique de son approche du cinéma qu’il n’y paraît, même s’il n’osa pas le réaliser à l’époque, le jugeant sans doute trop régressif pour figurer sur son CV de cinéaste. Rien n’y manque, y compris une scène de fétichisme du pied. Comme plus tard dans Kill Bill, la distribution mêle acteurs à la mode (c’est le premier rôle conséquent sur le grand écran de George Clooney, à l’époque vedette de la série « Urgence ») et icônes historiques du cinéma d’exploitation figurant dans le panthéon personnel de Tarantino : Fred Williamson, John Saxon, Michael Parks, le maquilleur Tom Savini.

Harvey Keitel, Fred Williamson, George Clooney et Tom Savin dans Une nuit en enfer

Harvey Keitel, Fred Williamson, George Clooney et Tom Savini dans Une nuit en enfer

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