Olivier Père

Hitler, un film d’Allemagne de Hans Jürgen Syberberg

Hitler, un film d'Allemagne

Hitler, un film d’Allemagne

L’édition française en DVD (Floris films) de son film le plus célèbre permet de parler à nouveau d’un cinéaste qui a considérablement marqué le cinéma des années 70 avant que ses films ne deviennent invisibles. Il était temps.

Hormis quelques rares projections à la Cinémathèque et des traces critiques importantes (Deleuze, Daney), une rétrospective pluridisciplinaire organisée par Beaubourg il y a une dizaine d’années, Syberberg a disparu de la surface de la planète cinéphilique, caché quelque part entre son site Internet les films inédits et les installations muséographiques.

Né en 1935 en Poméranie orientale, Syberberg travaille d’abord à la télévision de Munich, pour laquelle il réalise de nombreux documentaires. Dès ses premiers essais, Syberberg n’a qu’un seul sujet et n’en démordra pas : l’Allemagne, ses mythes, sa culture et son histoire. Toujours le passé (lire le nazisme) étreint le présent d’une ombre néfaste. Dans une trilogie essentielle, Syberberg s’intéresse à Louis II de Bavière (Ludwig, requiem pour un roi vierge, 1972), Karl May, écrivain populaire du XIXe siècle (Karl May, à la recherche du paradis perdu, 1974) et bien sûr Hitler, dans son film le plus important, Hitler, un film d’Allemagne (Hitler – ein Film aus Deutschland) en 1978.

Hitler, un film d'Allemagne

Hitler, un film d’Allemagne

Le chef-d’œuvre de Syberberg est un impressionnant travail de deuil, un exorcisme filmique de plus de sept heures dans lequel Hitler apparaît sous différentes formes, toutes antinaturalistes : marionnette vociférante, mannequin, führer de celluloïd sur des photogrammes d’archives, raconté par ses domestiques ou voix hors champ des discours hurlés. Dans cette gigantesque scénographie funèbre, Syberberg dresse avant tout le portrait de Hitler en rival, c’est-à-dire mauvais cinéaste, metteur en scène de l’Allemagne nazie et de sa propre image de chef charismatique, profanateur des mythes germaniques. C’est un film de désespoir puisque Syberberg est un cinéaste « d’après la catastrophe ». Au début d’Hitler… un bonimenteur de cirque tout droit sorti de Lola Montes annonce le programme et les intentions de Syberberg. Le spectateur est convié à une « joyeuse apocalypse, une expérience de fin du monde, quelque chose sur notre société de loups ». Pas de héros, pas de scénario, « pas un film catastrophe, mais la catastrophe faite film, … fin du monde, déluge, cosmos à l’agonie. » À la fin du film, le spectateur, épuisé mais comblé, aura effectivement eu droit à tout ça, et plus encore.

Les biographies filmées de Syberberg se refusent à la reconstitution historique stricte ou au pur documentaire. On se trouve également à mille lieues de la mode rétro qui fustige les horreurs du nazisme en se vautrant dans l’imagerie la plus perverse ou de la fiction de gauche enfonçant les portes ouvertes de la dénonciation avec bonne conscience et sans la moindre idée valable sur la représentation cinématographique. Ce sont des fresques qui tissent des réseaux d’informations contradictoires et d’inégale valeur, parfois à la manière d’enquêtes, parfois d’allégories. Inspirés par les écrits de Walter Benjamin, qui analysait les rapports entre cinéma et totalitarisme, les films de Sybergerg s’élèvent contre la dictature esthétique de la production dominante. Il est évident pour Syberberg que le capitalisme, les médias et Hollywood constituent après le nazisme de nouvelles forces d’asservissement contre lesquelles il faut lutter. Syberberg invente donc une nouvelle façon de faire des films et de mettre en scène l’histoire qui puise sa source, en toute logique, dans les origines foraines du cinéma, chez Méliès et même dans le pré cinéma, les lanternes magiques, les spectacles d’ombre et de lumière. Produit sous le règne de Toscan du Plantier à la Gaumont, son opéra filme Parsifal (1983) d’après Wagner est le seul qui survive au diktat de la postsynchronisation des chanteurs, puisque cette dissociation des voix et des corps humains, transformés en automates évoluant dans un décor de statues géantes, est au cœur même du projet de Syberberg. Le cinéaste systématise les dispositifs de distanciation, organise des mises en scène proches de l’opéra ou de l’installation d’art contemporain. Il a recours aux décors miniatures et aux maquettes dans Karl May, mais c’est surtout son utilisation révolutionnaire du vieux procédé des transparences – acteurs filmés devant des rétro projections ou des diapositives – qui lui permet d’instaurer un rapport inédit entre l’image et la parole.

Plus immédiatement politique et philosophique que le cinéma de Carmelo Bene par exemple, l’œuvre de Syberberg est pourtant tout sauf austère, et son exigence s’accompagne d’un foisonnement visuel et sonore, d’une luxuriance de visions capables d’enflammer les sens. Les films de Syberberg sont des réflexions d’intellectuel, ambiguïtés incluses (on lui a reproché ses obsessions rétrogrades) mais également des rêves et des cauchemars d’artiste, des voyages dans le temps dont la durée et l’intensité conduisent le spectateur dans des états proches de l’hallucination.

Le DVD de Hitler, un film d’Allemagne, distribué par Filmgalerie, propose en supplément un livre de 64 pages avec des textes de Francis F. Coppola, Serge Daney, Michel Foucault, Alberto Moravia, Susan Sontag, Douglas Sirk. Plus des textes inédits de Rochelle Fack et Pierre Gras. Sortie le 25 juin.

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