Il semblerait que les derniers films de Billy Wilder souffrent encore de la comparaison avec ses classiques comme Boulevard du crépuscule ou ses grands succès comme Sept Ans de réflexion. Sans minimiser les qualités de ces chefs-d’œuvre de noirceur et d’humour, on est en droit de leur préférer une poignée de films géniaux réalisés dans les années 60, dans lesquels la cruauté et l’intelligence de Wilder, alliée à la précision de son écriture, atteignent des sommets : La Garçonnière (qui ressort bientôt en salles, on en parlera), Embrasse-moi, idiot ! (Kiss Me, Stupid, 1964), La Vie privée de Sherlock Holmes (sublime) et Avanti ! (1972) sont empreints d’une mélancolie déchirante. Avanti ! est peut-être son meilleur film, une comédie grinçante où l’on a les larmes aux yeux, une histoire très noire dans un décor baigné de soleil, une leçon de misanthropie qui s’achève sur une note d’espoir. Bref, un film récapitulatif où l’on retrouve tout l’art de Wilder, ses idées sur le monde (pas très optimistes) mais qui se refuse au cynisme et choisit la beauté et l’amour contre l’aigreur et la mort, les baignades sans maillot contre le travail au bureau. Un beau film, quoi.
Wendell Armbuster Jr (Jack Lemmon), un jeune patron américain, s’envole précipitamment pour Ischia, une île magnifique au large de Naples, car il vient d’apprendre le décès de son père, un riche industriel, dans un grand hôtel où il avait l’habitude de passer ses vacances. Son voyage a pour seul objectif de rapatrier la dépouille de son père. Personnage antipathique et excédé par la lenteur administrative des Italiens, Wendell n’éprouve aucune tristesse particulière à la disparition d’un homme qu’il n’estimait guère et ne pense qu’à quitter au plus vite cet endroit pourtant paradisiaque et reprendre ses affaires à Baltimore. Il découvre que son père entretenait à plus de soixante-dix ans une liaison extraconjugale avec une londonienne et que Ischia était leur nid d’amour où ils se retrouvaient chaque été. Les deux amants sont morts ensemble dans un accident de voiture et Wendell fait la connaissance de la fille de la maîtresse de son père, une jeune Anglaise boulotte venue elle aussi sur l’île à la nouvelle du drame…
Wilder lance le défi de construire une comédie romantique autour de deux cercueils, et de créer un hymne à l’hédonisme en prenant pour héros le prototype du bourgeois américain puritain, méprisant et ignorant les plaisirs de sens et des choses simples. C’est le testament artistique et moral de Wilder, qui ne réalisera par la suite qu’une poignée de films mineurs. Il souligne, trois ans après La Vie privée de Sherlock Holmes, son rejet de l’Amérique moderne et de ses valeurs, dégoûté par le conservatisme et sceptique devant les hippies. Après avoir longtemps critiqué son pays d’adoption dans une série de satires et de comédies de mœurs, Wilder ne veut même plus le voir en peinture et se réfugie en Europe. Il propulse son antihéros dans une Italie douce et accueillante (écorchée toutefois lors d’une brève mais incisive allusion au fascisme) et entreprend de faire son éducation sensuelle et morale pour le transformer, à la fin du film, en être humain. Avanti ! confirme que ce sont souvent les vieux cinéastes, plus ou moins roublards mais d’une lucidité extrême (Wilder, Aldrich, Fleischer) qui ont réalisé, sous une forme classique ou baroque (la mise en scène de Wilder est d’une limpidité lubitschienne), quelques-uns des films les plus modernes, libres (et dans le cas d’Avanti !, libertaire) du cinéma américain des années 70.
Avanti ! (et Embrasse-moi, idiot !) sont disponibles en Blu-ray chez Opening depuis le 3 mai.
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