Olivier Père

Films noirs à l’italienne

Meurtre à l'italienne (1959)

Meurtre à l’italienne (1959)

Du 6 juin au 2 juillet à la Cinémathèque française nos amis Sergio Toffetti (mémoire vivante de l’histoire du cinéma italien) et Jean-François Rauger (qui a été flic milanais dans une vie antérieure) ont concoctée une formidable programmation autour d’un genre aux frontières floues, qui s’est décliné sous des formes extrêmement variées au gré des époques, le film noir italien.

Dès les années 40 certains films appartenant à une forme de néo-réalisme dégradé s’apparentent au genre policier car ils reprennent certains préceptes des films de De Sica et Rossellini sans cacher leur dette envers le film noir américain ou le réalisme poétique français. C’est Le Bandit (Il bandito, 1946) de Alberto Lattuada ou Chasse tragique (Caccia tragica, 1947) de Giuseppe De Santis. Ou les films de Pietro Germi, excellent cinéaste et le seul auteur italien à avoir réellement consacré une partie de son œuvre au polar avec des titres importants du genre : Au nom de la loi (In nome della legge, 1949), Traqué dans la ville (La città si diffende, 1951), Meurtre à l’italienne (Un maledetto imbroglio, 1959)

Est-il utile de rappeler que le titre séminal du néo-réalisme, Les Amants diaboliques (Ossessione, 1941) de Luchino Visconti, était lui-même l’adaptation d’un roman noir américain de James Cain, Le facteur sonne toujours deux fois, après la version de Pierre Chenal et avant celle de Tay Garnett ?

Affiche française de Bandits à Milan

Affiche française de Bandits à Milan

A la fin des années 60, certains cinéastes engagés s’aventurent dans des entreprises ouvertement commerciales mais néanmoins porteuses d’un message politique sans ambiguïté, solidaire de la ligne du Parti Communiste italien. Parmi eux, principalement, Damiano Damiani (La mafia fait la loi, Nous sommes tous en liberté provisoire, Un juge en danger) et Carlo Lizzani (Bandits à Milan). Disciple de Rossellini, ancien résistant, critique de cinéma, communiste, Lizzani va tenter dans les années 60 d’appliquer certains principes esthétiques du néo-réalisme à des films dossiers, traitant de sujets historiques, sociaux ou politiques. Lizzani va alterner durant sa carrière les œuvres sérieuses et respectables (Chronique des pauvres amants) et les films aux frontières du « trash » mêlant préoccupations politico-sociales et cinéma d’exploitation (Storie di vita e di malavita, Kleinhoff Hotel). Le cinéma policier transalpin détrôna le péplum et le western dans les années 70 avec une multitude de productions qui imitaient les récents succès du box-office américain tout en désignant une certaine réalité sociale et politique propre à la société italienne. C’est cet ancrage trivial et réaliste, associé à une mise en scène frénétique de l’action, qui fait le prix de ce filon qui compte plusieurs réussites. Bandit à Milan est un des titres séminaux du polar à l’italienne (avec La polizia ringrazia de Stefano Vanzina) et un des meilleurs films de Lizzani toutes catégories confondues. On y retrouve une dimension ouvertement documentaire (le film prend comme point de départ la reconstitution minutieuse des agissements d’une bande de gangsters organisateurs de plusieurs braquages de banques), une esthétique qualifiable de néo-réalisme dégradé. Mais le film ne lésine pas non plus sur l’action, le suspens, et invente un folklore et des personnages qui seront par la suite déclinés dans les polars de série B mis en scène par Umberto Lenzi, Stelvio Massi et les autres avec plus ou moins de bonheur. Gian Maria Volonté est excellent en chef de bande, tandis que Tomas Milian, futur abonné du genre, campe un flic dur à cuire, premier d’une longue lignée dans le polar italien. Milian inventera ensuite avec la complicité de Umberto Lenzi les personnages célèbres de Monnezza et Le Bossu, truculentes figures de la pègre et du prolétariat romain qui offriront au comédien cubain l’occasion de satisfaire son goût du transformisme et de l’outrance, comme dans le divertissant Echec au gang.

Avec les films policiers de série B dans les années 70, survenus après la vague du péplum et du western, c’est sans doute la dernière fois que le cinéma populaire italien va se trouver en prise directe avec la réalité sociale et politique du pays.

Ces polars violents et carnavalesques ne se contentent pas de singer les recettes et le style hyperréaliste des thrillers américains de l’époque, du Parrain à French Connection en passant par L’Inspecteur Harry et les films de Charles Bronson. Ils proposent un reflet grimaçant de la réalité italienne, engluée dans les affaires de mafia et de corruption, s’enfoncent dans les marges prolétariennes de la société. Le polar italien, contemporain de la fiction de gauche et de la comédie grinçante, rend lui aussi compte, à sa façon plus ou moins caricaturale et grossière, des travers de la société et d’un contexte marqué par la violence, qu’elle soit criminelle, terroriste ou étatique. Ces films s’orientent généralement vers un discours populiste, voisin de l’anarchisme de droite, et n’hésitent pas à ridiculiser les institutions, condamner le laxisme de la police, prôner la justice individuelle devant la montée inquiétante de l’insécurité et du banditisme. D’autres délaissent la rubrique des faits-divers pour s’intéresser aux assassinats politiques et aux entreprises de déstabilisation ourdies par les factions néofascistes.

Milan calibre 9 (1972)

Milan calibre 9 (1972)

Dans un registre beaucoup plus droitier on assiste ainsi à l’explosion du filon commercial « poliziottescho », terme qui désigne en Italie les polars urbains, reconnaissables par un hyperréalisme outré qui débouche sur une représentation carnavalesque des maux de la société italienne. Les réalisateurs de films policiers italiens ont souvent montré dans les années 70 la violence et l’insécurité, mais aussi le climat de corruption et de complots politiques qui régnait dans des villes telles que Rome, Naples, Milan où Gênes. Réalisé juste après les succès de L’Inspecteur Harry, du Parrain et même d’Un justicier dans la ville, le polar urbain transalpin connut de nombreuses réussites et la Cinémathèque montrera certains d’entre eux comme Milan, Calibre 9 (1972) de Fernando Di Leo, ou La Police a les mains liées de Luciano Ercoli. Le film de Di Leo est une adaptation d’un roman de Giorgio Scerbanenco, surnommé le Simenon italien. Le film d’Ercoli, souvent distribué en France sous le titre trompeur Les Dossiers rouges de la mondaine est un honnête polar où pour une fois il n’est plus question de pègre et de voyous mais de complot terroriste ourdi par l’extrême droite, mettant en scène un flic intègre et des gauchistes dépassés par les événements.

La rétrospective montrera aussi des titres plus récents comme Arrivederci amore, ciao de Michele Soavi, déjà traité dans ce blog.

http://olivierpere.wordpress.com/2012/04/27/arrivederci-amore-ciao-de-michele-soavi/

Affiche italienne de La Police a les mains liées

Affiche italienne de La Police a les mains liées

Catégories : Actualités

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