Olivier Père

La boxe et le cinéma

Gentleman Jim de Raoul Walsh (1942)

Gentleman Jim de Raoul Walsh (1942)

Tous les jeudis de mai dès 20h40 avec un week-end spécial les 26 et 27 mai, TCM propose un cycle de 8 films sur la boxe au cinéma, avec un bonus le court métrage de Stanley Kubrick Day of the Fight le 24 mai. Ce documentaire de 1951 raconte une journée dans la vie du boxeur irlandais poids moyen Walter Cartier et s’inspire d’un reportage photo intitulé « The Prizefighter » réalisé par Kubrick en 1949 lorsqu’il travaillait comme reporter pour le magazine « Look ». Au cinéma, la boxe est le sport par excellence : celui qui met en scène le corps avec le plus de violence et d’immédiateté et qui offre un formidable terreau d’histoires de chute, de succès et de rédemption.

De tous les sports, la boxe est sans doute celui qui a le plus inspiré non seulement le cinéma mais aussi les grands cinéastes. Sans parler des acteurs prompts à exhiber, outre leur talent, leur musculature et leur endurance physique : Alain Delon (Rocco et ses frères de Luchino Visconti), Kirk Douglas (Le Champion de Mark Robson), Robert De Niro, Sylvester Stallone, Russell Crowe (De l’ombre à la lumière de Ron Howard, pas vu), Mark Wahlberg (Fighter de David O. Russell, pas vu non plus) et bien d’autres se feront un plaisir de sculpter leur corps – si besoin – à l’occasion de leur passage sur le ring devant les caméras. Masochisme et narcissisme sont au rendez-vous. A Hollywood des années 30 à 50, le monde de la boxe sert de toile de fond à une foule de longs métrages, parmi lesquels plusieurs grands classiques du mélodrame, du film d’aventures ou du polar social : Le Champion de King Vidor (1931) avec Wallace Beery, Gentleman Jim de Raoul Walsh (1942) avec Errol Flynn, Nous avons gagné ce soir de Robert Wise (1949) avec Robert Ryan, pour ne citer que les trois exemples les plus parfaits et symptomatiques d’une époque, d’une esthétique de studio, du génie de cinéastes au service de l’action et de l’émotion.

Plus dure sera la chute de Mark Robson (1956) est un solide film noir sur les magouilles des syndicats de la boxe, responsables de la mort d’un ancien champion sur le ring. Ce fut la dernière apparition à l’écran d’Humphrey Bogart, qui décédera un an plus tard d’un cancer de l’œsophage. Marqué par la haine de Robert Wise, réalisé la même année, biographie filmée du boxeur Rocky Marciano, offre au jeune Paul Newman le rôle d’un voyou qui trouve le droit chemin grâce au noble art, et l’occasion d’une performance truffée des tics en vogue de l’Actors Studio. Vingt ans plus tard, c’est ce film en particulier qui influencera Stallone et son célèbre Rocky, mélo social mâtiné de « success story » solidement mis en scène par John G. Avildsen autour de la star scénariste, tandis que Scorsese signera une biopic de Jake La Motta, magistrale, Raging Bull (1980), avec un De Niro métamorphosé. Le simple enregistrement d’un acteur au travail, plus ou moins convaincant dans le rôle d’un boxeur, cède ici la place à la transformation d’un comédien en véritable pugiliste (De Niro, après plusieurs mois d’entraînement avant le début du tournage, avait atteint le niveau d’un athlète professionnel). L’excès de réalisme chez De Niro, (trop de muscles puis trop de graisse) se mêle à une surenchère stylistique de la part de Scorsese. La performance de l’acteur est valorisée et amplifiée par une débauche d’effets visuels et sonores qui transforment les combats en chorégraphies, entre carnage peckinpahien et calvaire sulpicien.

Avec Scorsese, la boxe au cinéma est soudainement passée de l’âge d’or du classicisme au cinéma postmoderne ou maniériste sans passer par la modernité. Ce que l’on a coutume d’appeler la crise de l’image action, dans le cinéma moderne des années 60 et 70, affectera bien sûr le sport, et la moindre manifestation de dépense physique. Un chef-d’œuvre absolu de cette période, Walkover (1965) raconte l’histoire d’un jeune homme désœuvré qui se laisse convaincre par un entraîneur de participer à un combat de boxe. Le film est réalisé et interprété par Jerzy Skolimowski, grand cinéaste qui fut lui-même boxeur amateur avant de faire du cinéma. Bâti sur l’attente, l’indécision, Walkovertrouve sa conclusion ironique par l’annulation du combat à cause de la défection d’un des boxeurs !

On a coutume d’opposer Gentleman Jim à Raging Bull, l’élégance classique de Walsh contre l’emphase scorsesienne, l’évocation élégiaque du noble art contre la boucherie dérisoire, le boxeur chevaleresque et le boxeur psychopathe. Ces films sont en effet des jalons essentiels de la boxe au cinéma, esthétiques mais également thématiques : Walsh glorifie un héros et un champion, tandis que Scorsese entérine la mythologie du perdant, aussi vivace dans le cinéma américain que celle du gagnant, et régulièrement illustrée par le film de boxe (voir le très beau Fat City de John Huston dans les années 70). Dans le cinéma contemporain, deux films ont réactivé cette dualité classicisme / maniérisme autour de la boxe : Million Dollar Baby, mélodrame lacrymal mais d’une grande sobriété signé Clint Eastwood, iconoclaste à sa façon (le boxeur… est une charmante jeune femme) mais respectueux des canons du mélodrame sportif, et Ali, fresque historique un rien ampoulée où les combats de boxe servent de prétexte aux expérimentations techniques d’un Michael Mann moins inspiré que d’habitude et dont le goût des images phréatiques et des musiques planantes se prêtent mal à la violence de la boxe.

 

Nous avons gagné ce soir de Robert Wise (1949)

Nous avons gagné ce soir de Robert Wise (1949)

Catégories : Actualités

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *