Olivier Père

William Finley (1942 – 2012)

« We’ll remember you forever, Eddie, trough the sacrifice you made, we can’t believe the price you paid for love. » (Goodbye, Eddie, Goodbye, The Juicy Fruits, générique de Phantom of the Paradise)

Phantom of the Paradise

Phantom of the Paradise

L’acteur américain William Finley est mort ce week-end. Son nom ne dit sans doute rien au grand public, mais c’est une figure marquante d’une certaine cinéphilie qui disparaît. William Finley était ce que les Américains appelle un « character actor » : un habitué des seconds ou des troisièmes rôles, parfois même des apparitions, mais dont le visage, le physique, la voix ou la dégaine marquent immédiatement les spectateurs à chacune de ses participations dans un film (grand rôle dans des petits films, ou petits rôles dans des grands films.) William Finley est entré au panthéon du cinéma fantastique en interprétant le rôle de Winslow Leach, le compositeur malchanceux transformé en fantôme de l’opéra moderne, dans le film culte de Brian De Palma Phantom of the Paradise en 1974. Film culte : ce terme galvaudé, devenu imprononçable, s’il ne devait être attribué qu’à un seul film, ce serait bien Phantom of the Paradise, du moins pour les cinéphiles de ma génération. J’ai découvert ce film à treize ans, un peu par hasard, dans une salle art et essai de province (Le Méliès), et il a changé ma vie. Hanté par les images et les sons de ce film, j’en guettais la moindre projection, allant jusqu’à voyager pour le revoir, à une époque où il y avait peu de cassettes vidéo, de chaînes de télévision et où la cinéphilie se vivait encore en contrebande. J’étais arrivé à voir le film une quinzaine de fois en quelques années. Mais la première vision, fondatrice de ma passion dévorante et obsessionnelle pour le cinéma, avait été la bonne.

Même s’il contient déjà toutes les obsessions de Brian De Palma, Phantom of the Paradise est un titre à part dans la filmographie du cinéaste, puisqu’il emprunte la forme extravagante d’un opéra rock fantastique, et plonge dans la démesure visuelle la plus totale. Son mauvais goût outré ne le rattache pourtant que superficiellement au courant du stupide cinéma camp et kitsch, puisque Phantom of the Paradise reste, au-delà de son décorum et de sa musique disco, un vrai film de cinéaste. En grand paranoïaque, De Palma s’identifie à son antihéros, fantasme de l’artiste génial et méconnu dépossédé de son œuvre par l’industrie hollywoodienne. Le film emprunte à quatre sources littéraires : Le Fantôme de l’Opéra, La Belle et la Bête, Faust, Le Portrait de Dorian Gray et cite Psychose (la scène de la douche détournée de manière hilarante) et Le Cabinet du docteur Caligari. Débordant d’émotions contradictoires, de l’humour potache au romantisme noir, de l’amour fou au Grand Guignol, Phantom of the Paradise est le grand film de notre adolescence, mais aussi un chef-d’œuvre de cinéma adolescent.

Phantom of the Paradise

Phantom of the Paradise

Avec sa trogne de binoclard, sa timidité, sa maladresse, sa métamorphose en monstre défiguré assoiffé de vengeance, sanglé dans une combinaison de cuir et coiffé d’un casque en forme d’oiseau, Winslow Leach était l’incarnation des fantasmes romantiques et violents de notre adolescence, pourtant peu marquée par le mouvement gothique. Nous rêvions avec De Palma de ce personnage inouï, magnifiquement interprété par Finley, mélange de Jerry Lewis période The Nutty Professor et de Lon Chaney. L’extase, la transe solitaire. Phantom of the Paradise restera le seul grand rôle de William Finley, qui y partageait la vedette avec deux autres figures inoubliables et pourtant vite disparues de la circulation, le chanteur acteur compositeur Paul Williams (Swan) et Jessica Harper (Phoenix) qui trois ans plus tard tiendra le rôle principal d’un autre titre mythique des années 70, Suspiria de Dario Argento. Le film fut un échec aux Etats-Unis où personne ne le prit au sérieux, tandis qu’il allait bientôt devenir un petit phénomène en Europe et surtout en France, remportant le grand prix au Festival d’Avoriaz et restant à l’affiche à Paris une dizaine d’années consécutives, avant l’apparition des éditions DVD collector.

La carrière erratique de William Finley (à peine vingt films en cinquante ans) est intimement liée à celle de Brian De Palma, fidèle en amitié avec l’acteur. Ils partagent leurs débuts puisque Finley est de presque tous les essais underground du jeune De Palma : Woton’s Wake, The Wedding Party,  Dyonisus ou le film potache Murder à la Mod (1967), brouillon des futurs thrillers hitchcockiens de De Palma où Finley incarne, déjà, une figure inquiétante qui annonce ses rôles de détraqués dans Sœurs de sang (Sisters, 1973) et Le Dahlia noir (The Black Dahlia, 2006).

De Palma fait ses gammes, et le film contient en germes de nombreuses scènes de ses films suivants : un mannequin assassiné au rasoir (comme dans Pulsions), des essais d’actrices (comme dans Le Dahlia noir), beaucoup de voyeurisme, de cadrages tordus et d’humour potache, et déjà la présence dans le rôle du tueur psychopathe de William Finley, l’acteur fétiche de la première période de De Palma qui cabotine comme un malade et interprète la chanson du générique. Une curiosité.

Soeurs de sang

Soeurs de sang

Lorsqu’il réalise son premier film de genre, Sœurs de sang produit comme Phantom of the Paradise par Edward R. Pressman, De Palma confie le rôle de l’effrayant docteur Emile Breton à Finley, qui livre une composition outrancière, avec béret, cheveux luisants, petite moustache et lunettes à gros foyer.

Après Phantom of the Paradise, Finley fera des apparitions sporadiques dans l’œuvre de De Palma : il est l’individu louche qui suit Amy Irving dans la rue dans Furie (The Fury, 1978), fait la voix de Bobbi le travelo assassin dans Pulsions (Dressed to Kill, 1980) sans être crédité au générique et, à la surprise générale, réapparait en tueur fou, vêtu de noir comme dans un vieux giallo de Sergio Martino, le temps de la meilleure scène du Dalhia noir (très belle chute mortelle du haut d’un escalier.)

L’autre cinéaste qui emploiera plusieurs fois William Finley est Tobe Hooper dont on a déjà parlé ici. Le style excessif et carnavalesque de Hooper s’accorde avec les compositions outrancières de William Finley. Si les acteurs américains ont inventé « l’underacting » et optent généralement pour un jeu réaliste, Finley tourne le dos à la sobriété : il apparaît en magicien poudré et grimaçant dans Massacres dans le train fantôme (1981), et aussi dans Night Terrors en 1995 (pas vu.) Mais William Finley se fait surtout remarquer dans Le Crocodile de la mort (1977), dans lequel il pique une mémorable crise d’hystérie qui fait vraiment froid dans le dos, au milieu d’une distribution qui collectionne les tronches de cauchemar (Neville Brand, Robert Englund, Stuart Whitman, Carolyn Jones). Spécialiste des films étranges, Finley a même joué dans le seul long métrage fantastique de Chuck Norris, Horreur dans la ville (Silent Rage, 1982) de Michael Miller qui jouit d’une bonne réputation. A découvrir, pour un ultime hommage au Fantôme du Paradis.

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