Les Aciacias ressortent à Paris aujourd’hui mercredi 18 avril douze films de Claude Autant-Lara (1901-2000, photo en tête de texte), cinéaste talentueux qui connut une fin de vie pathétique marquée par une tentative de reconversion politique aux côtés de l’extrême droite nationaliste, des propos antiaméricains et des injures à caractère raciste et antisémite qui défrayèrent la chronique. Réputé pour son caractère hargneux, Autant-Lara d’abord socialiste, pacifiste dans sa jeunesse, puis figure importante du corporatisme cinématographique sous la bannière de la puissante CGT après-guerre, avait réservé sa colère aux militaires, aux curés, aux bourgeois. Dans les années 60 il n’avait pas caché sa haine et son mépris pour la Nouvelle Vague, pour les cinéastes plus jeunes accusés d’avoir mis un terme à sa carrière, puis pour les Américains responsables du déclin de la culture française et de son cinéma. La hargne se transforma en amertume, puis en bile rageuse contre des collègues dont il ne possédait pas le génie et les autres en général. Rien d’étonnant que les Juifs ne deviennent ses ultimes boucs émissaires, à moins qu’ils ne fussent, depuis longtemps mais d’une manière inavouée, les premiers.
Ses films, souvent adaptés de romans, marquèrent les esprits par leurs sujets provocateurs ou courageux (pour l’époque) et leur facture, excellente mais traditionnelle. Autant-Lara fut longtemps considéré comme un auteur – ce qu’il était, audacieux et anticonformiste, avant que son cinéma ne soit associé à cette fameuse « qualité française » synonyme d’académisme, de conformisme et parfois de médiocrité dissimulée sous les apparats du professionnalisme et du travail bien fait. L’auteurisme d’Autant-Lara se manifestait à toutes les étapes de la confection du film, avec un soin particulier accordé à la direction artistique. Autant-Lara a débuté sa carrière comme décorateur au théâtre et au cinéma, d’abord avec Marcel L’Herbier (L’Homme du large ; L’Herbier produira aussi le premier court métrage d’Autant-Lara, Faits-divers en 1923) puis avec Renoir (Nana, 1926) avant de devenir assistant réalisateur pour René Clair. Il est possible d’ailleurs de rapprocher le travail d’Autant-Lara – et de Clair – à celui de l’école des calligraphes italiens : même refuge dans le passé et la reconstitution historique, même goût du roman du XIXe siècle, même souci du décor.
Le Diable au corps (1946), adaptation par Aurenche et Bost du roman de Radiguet, compte parmi les grands classiques d’Autant-Lara et passa longtemps pour un film extrêmement subversif, en raison de son sujet (un étudiant a une liaison avec une jeune épouse dont le mari est parti au front, durant la Première Guerre mondiale.) A sa sortie, le critique André Bazin accueillit le film favorablement (« saluons très bas Aurenche et Bost qui ont réussi à adapter sans le trahir et en tenant très intelligemment compte des nécessités du cinéma le roman de Radiguet »), alors que quelques années plus tard le fils spirituel de Bazin, François Truffaut attaquera justement ce film, Autant-Lara et ses scénaristes dans son pamphlet « une certaine tendance du cinéma français », accusant Autant-Lara de faire des films antibourgeois pour un public bourgeois. Il est vrai qu’aujourd’hui ce film a vieilli et qu’il est devenu au fil des ans le symbole d’un cinéma français compassé, audacieux dans son sujet mais souvent conventionnel dans sa forme (voir la scène d’amour qui se conclut par un travelling sur un feu de cheminée avant que les amants ne passent à l’acte, lourd symbole au diapason d’un style suranné.)
« Ce devrait être un chef-d’œuvre, ce n’est qu’un film inoubliable », écrit Paul Vecchiali dans son ouvrage passionnant sur le cinéma français, « L’Encinéclopédie » en avouant qu’il a vu le film une quinzaine de fois lors de sa sortie, quand il était adolescent.
L’Auberge rouge (1951) est l’un des meilleurs films de Claude Autant-Lara, tout à fait représentatif des divertissements de qualité un brin scandaleux qui firent la réputation de ce cinéaste. Dans les limites de l’enluminure et de l’anticléricalisme facile qui caractérisent l’œuvre d’Autant-Lara et ce film en particulier, la verve du cinéaste, son goût de la belle image en noir et blanc et des décors en studio fonctionnent à plein régime. Fernandel, mécontent du tournage, déclara qu’on le l’y reprendrait plus à jouer dans des films d’auteur !
Le Rouge et le Noir (1954), d’après Stendhal, fait partie des films que mêmes les plus fervents admirateurs d’Autant-Lara, comme Tavernier, ne peuvent réhabiliter, tant il est mauvais et donne raison aux pourfendeurs du cinéaste et de la production française à prestige de l’époque dans son ensemble.
Dans la seconde moitié des années 50, Autant-Lara réalise deux films que j’aime beaucoup (je ne connais pas toute son œuvre, loin s’en faut.)
La Traversée de Paris (1956) est un excellent film, adapté d’une nouvelle de Marcel Aymé, où triomphent Bourvil et Jean Gabin dans un contre emploi. Le film dresse un portrait très corrosif de la France sous l’occupation, avec une histoire de marché noir qui révèle la lâcheté et le cynisme d’une partie de la population.
« Autant-Lara a réussi avec La Traversée de Paris ce qu’il avait raté avec L’Auberge rouge, un film tout à rebrousse-poil et dont l’ironie parvient à désacraliser. Le véritable côté déplaisant (déplaisant mais non détestable) n’est pas dans l’ordre de la politique, il réside bien davantage dans l’espèce de racisme de l’intelligence qu’il laisse sous-entendre. » écrivait André Bazin dans « France Observateur » le 8 novembre 1956.
Un an plus tard, Autant-Lara réussit un autre très bon film, d’après un roman de Georges Simenon (un peu moins trahi que d’habitude), En cas de malheur avec un Gabin impérial et Brigitte Bardot dans l’un de ses meilleurs rôles (avant Godard et Le Mépris, seuls Clouzot et Autant-Lara lui permirent d’exprimer ses talents d’actrice hors du registre de la comédie.)
Ce furent les derniers grands succès d’Autant-Lara.
Sa production des années 60, très inégale, contient cependant des réussites qui passèrent inaperçues car elles étaient déjà démodées au moment de leur sortie. Paradoxalement, des jeunes critiques des « Cahiers du cinéma », défenseurs du cinéma moderne et radical honni par Autant-Lara aimeront ces films, notamment Serge Daney qui écrira sur Les Patates avec Pierre Perret (1969) et Jean-Claude Biette qui aimait le dernier film d’Autant-Lara, Gloria (1977), production Marcel Dassault qui fut injustement moquée car plus personne n’osait tourner des mélodrames à la fin des années 70. Autaut-Lara si, sans peur du ridicule qui est souvent proche du sublime. Quant à Vecchiali, il vante Le Magot de Josefa (1963), Le Journal d’une femme en blanc (1965) et sa suite Une femme en blanc se révolte (1966), ce qui me donne envie de voir ces films devenus invisibles ou presque.
Je ne sais pas encore si la rétrospective des Acacias permettra de découvrir ces perles rares ou si elle se concentrera sur les valeurs sûres et les classiques officiels du cinéaste, comme Douce (1943), Sylvie et le fantôme (1945), Occupe-toi d’Amélie (1949) et les films précédemment évoqués.
N’oublions pas les films coréalisés avec Maurice Lehmann, L’Affaire du courrier de Lyon (1937) et Fric-Frac (1939) à l’époque où Autant-Lara faisait le superviseur technique pour survivre après l’échec commercial de son premier long métrage Ciboulette, une féérie musicale qui dérouta le public de 1933, et que Vecchiali qualifie de chef-d’œuvre.
L’actualité du Blu-ray et des ressorties m’a permis de voir deux films : Le Comte de Monte Cristo (1961), dans un nouveau master restauré en Blu-ray, collection Gaumont classiques. Cette adaptation en Eastmancolor, Dyaliscope et en deux époques du roman de Dumas est du vrai cinéma populaire comme il s’en produisait beaucoup entre la France et l’Italie au début des années 60. Autant-Lara s’acquitte de cette commande avec plus de brio que les habituels Decoin, Le Chanois, Borderie et Hunebelle, mais cela marque le déclin d’un cinéaste de prestige. Le résultat est honnête, très impersonnel et se regarde sans déplaisir. Le 1er février 2012 le distributeur Solaris a ressorti Fric-Frac que je n’avais jamais vu. Je ne sais pas quelle la réelle part d’Autant-Lara dans ce classique de la comédie française, mais ses aspects anarchisants et antibourgeois (malgré le final où tout rentre dans l’ordre, du moins où les apparences sont sauvées) ne sont sans doute pas étrangers aux convictions du cinéaste au moment du tournage. Le film repose presque entièrement sur des dialogues amusants et un trio de comédiens géniaux qui fonctionne à merveille : Arletty, Fernandel et Michel Simon, grandiose comme d’habitude en cambrioleur veule et velléitaire, porté sur la bouteille (scène de cuite mémorable entre les deux monstres sacrés.)
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