Davantage qu’avec la série télévisée des années 80 dont Miami Vice – Deux Flics à Miami (Miami Vice, 2005) est l’adaptation pour le grand écran, c’est surtout avec les précédents polars cinématographiques de Mann (ainsi que Révélations) que la comparaison s’impose. Tant mieux. Le Solitaire (très beau premier long métrage de cinéma qui ressort en salles le 25 avril, on en reparlera), Le Sixième Sens (on en a déjà parlé ici), Heat (revu lors de la leçon de cinéma de Mann à la Cinémathèque française, le film a mal vieilli), Révélations, Collateral, Miami Vice (mettons de côté Ennemis publics, incursion peu concluante dans le film de gangsters des années 30) : Michael Mann a signé des thrillers urbains dans lesquels chaque élément de la mise en scène semble procéder à une déréalisation d’un matériau documentaire. Les nappes sonores et musicales, les strates d’images flottantes, les plans hyper composés parviennent à créer des films atmosphériques et planants, véritables rêves éveillés percés d’éclairs de violence. Le cinéaste semble parfois hésiter entre l’efficacité dramatique et la quête de la pure expérience sensitive, le besoin de raconter une histoire solide avec de grands acteurs (nous sommes à Hollywood) et le désir de composer des plans vertigineux à la manière d’un peintre, d’un musicien, d’un architecte, d’un artiste. Miami Vice n’échappe pas à la règle, et menace de basculer dans la vacuité ornementale. Mais sa beauté et son originalité, même en regard des précédents polars de Mann, sont ailleurs. On pouvait penser que Michael Mann était un cinéaste dont la forme de ses films était devenue leur sujet même, un expert en ambiances visuelles, capable de composer des plans stupéfiants. Ce n’est pas un hasard si son style s’épanouit particulièrement dans le néo film noir, qui regorge d’histoires prétextes à magnifier les archétypes du polar urbain et ses nouvelles déclinaisons high-tech et contemporaines (profiler et serial killer dans Le Sixième Sens, braqueurs professionnels dans Le Solitaire et Heat, tueur à gages dans Collateral, agents infiltrés chez les narcotrafiquants d’Amérique Centrale dans Miami Vice). Pourtant Miami Vice se révèle plus complexe. Un des thèmes du film (les réseaux internationaux des cartels de la drogue) est magnifiquement mis en scène par le cinéaste qui s’amuse à fusionner, juxtaposer ou brouiller les espaces et les ambiances, jusqu’à créer un univers dans lequel les frontières sont abolies et les personnages circulent ou communiquent en toute impunité, aux dessus des lois et des contingences. Au point que l’anonyme Miami elle-même finit par s’effacer de la topographie du film, sans qu’on s’en aperçoive vraiment, remplacée par d’autres décors de villes, de ports, de plages ou de boîtes de nuit. Après un poème dédié à Los Angeles (Collateral), Mann filme le monde comme un immense terrain de jeux pour adultes où s’échangent l’argent, la drogue, la vie et la mort.
On retrouve dans Miami Vice un peu de cette fibre documentaire qui structurait les premières images du cinéaste (ses reportages, ses débuts à la télévision et même ses séries policières), dans son ambitieux sujet géopolitique d’abord mais aussi au détour des hallucinantes scènes de violence. La caméra se retrouve soudain sur le siège arrière d’une voiture déchiquetée par les impacts de balles où, portée à l’épaule à hauteur d’un fusil automatique crépitant.
Pionner de la HD, Mann l’utilise à nouveau avec une inventivité et une maîtrise éblouissantes en mettant à profit l’enseignement du tournage exclusivement nocturne et quasi expérimental de son précédent film Collateral.
Et nos deux flics ami ami ? L’un (Jamie Foxx, pas très bon) suit le cahier des charges à la ligne : flic intègre, bon co-équipier, époux exemplaire, il symbolise à la fois un fantasme de professionnalisme total et la pure fonctionnalité du blockbuster hollywoodien. L’autre (Colin Farrell, très bien) va nous surprendre et nous passionner davantage (et Mann aussi). Non pas parce qu’il interprète le flic tête brûlée attiré par le côté obscur de la force (classique), mais parce qu’il tombe amoureux fou de manière totalement irrationnelle (mais pas improbable) de la femme d’affaires trempée jusqu’au cou dans le cartel qu’il est censé démanteler, l’interlope Isabella (sublime Gong Li). Et l’on y croit à fond, car Michael Mann sait aussi filmer le désir et l’amour, toujours à deux doigts du cliché (comme Antonioni) mais capable de nous émouvoir en osant des scènes extraordinaires (l’escapade à La Havane). Cette dimension romantique de la passion interdite et impossible était déjà effleurée dans Heat (le personnage de De Niro), elle s’épanouit dans Miami Vice d’une façon inattendue et très belle. Miami Vice avait été projeté en ouverture de l’édition 2005 du Festival del film Locarno, sur la Piazza Grande, écrin à la hauteur de la splendeur visuelle du film.
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