Olivier Père

Roger Corman et le cycle Edgar Poe

La Tombe de Ligeia (1964)

La Tombe de Ligeia (1964)

Lorsque Roger Corman débuta sa carrière en 1955 (avec le western Cinq fusils à l’ouest), la série B américaine était déjà morte en enterrée. C’est dans le cinéma d’exploitation, fait de bandes fauchées mélangeant les genres et destiné aux drives que le cinéaste s’illustra pendant un demi-siècle, d’abord comme cinéaste puis comme producteur opportuniste et dénicheur de talent. Roger Corman décide d’adapter pour la première fois Edgar Allan Poe à l’écran avec La Chute de la maison Usher (The Fall of the House of Usher, 1960). Cette adaptation d’une célèbre nouvelle d’Edgar Allan Poe, la première d’un « cycle Poe » qui doit beaucoup au scénariste Richard Matheson et au directeur artistique Daniel Haller, marque un tournant dans la carrière de Roger Corman, et une rupture esthétique. Alors que les nombreux films à petit budget tournés par le cinéaste depuis 1955 avaient du mal à dissimuler leur pauvreté, leur manque d’ambition et la rapidité de leur exécution, La Chute de la maison Usher, malgré son décor unique et pas plus de quatre comédiens, parvient à créer l’illusion du luxe et de l’opulence grâce à une utilisation spectaculaire du Cinémascope et des décors de studio. Les couleurs criardes et les fumigènes sont utilisés de façon symbolique par Corman qui simplifie l’œuvre de Poe mais réalise un film fantastique neuf et original. Une utilisation astucieuse des transparences, de la profondeur de champs et du brouillard qui masque l’absence de décors. Corman trouve en Vincent Price, qui allait bientôt passer du statut d’acteur de second plan dans des films prestigieux à celui de star de l’épouvante, l’interprète idéal de Roderick Usher, qu’il joue à sa manière, exagérée et flamboyante. Des qualités identiques caractériseront les films suivants. Le nom de Poe offre une caution culturelle à ces productions destinée aux publics adolescents, estudiantins et populaires, même si les scénarios s’éloignent souvent des nouvelles de l’écrivain et proposent des histoires originales, avec leur lot d’ingrédients sadiques, morbides et sexuels. Corman exhibe une ambition artistique plus évidente que dans ses autres films, et il entend moderniser le cinéma gothique en l’éclairant de sa propre lecture psychanalytique, sommaire mais cohérente. Cette série débutée en 1960 constitue un ensemble de sept films (huit si l’on compte La Malédiction d’Arkham, lointainement inspiré de Poe mais surtout de Lovecraft), presque tous interprétés par Vincent Price.

La Chambre des tortures (The Pit and the Pendulum, 1961) adapte la célèbre nouvelle « Le Puits et le Pendule » déjà portée à l’écran avec plus de sérieux par Alexandre Astruc. C’est la seule apparition de Barbara Steele, égérie du fantastique européen des années 60, dans un film de Roger Corman.

L’Enterré vivant (Premature Burial, 1962) se distingue par l’absence de Price, remplacé par un Ray Milland vieillissant, que Corman dirigera une seconde fois l’année suivante dans l’excellent L’Horrible Cas du docteur X.

L’Empire de la terreur (Tales of Terror, 1962) est constitué de trois sketches adaptés de nouvelles d’Edgar Allan Poe : dans « Morella », un alcoolique est hanté par le fantôme de sa femme, qui a pris la possession du corps de sa fille ; dans « The Black Cat », un homme enterre vivants son épouse infidèle et son amant, mais son crime est révélé par les miaulements d’un chat ; dans « The Facts in the Case of Mr. Valdemar », un homme accepte d’être plongé dans un état de transe entre la vie et la mort afin d’échapper aux outrages du temps et à la maladie. On retrouve avec plaisir dans chacune des trois histoires Vincent Price, l’acteur fétiche de Roger Corman, accompagné dans les deux derniers sketches par de vieilles gloires du cinéma fantastique, Peter Lorre et Basil Rahtbone. Si « Morella » demeure l’une des plus convaincantes approches de l’œuvre de Poe par Corman, « The Black Cat » et « The Facts in the Case of Mr. Valdemar » sont surtout appréciables pour l’interprétation de Price et les effets spéciaux macabres. Corman se permet en effet de nombreuses libertés avec les nouvelles originales, en y ajoutant des rebondissements susceptibles de plaire davantage aux spectateurs de drive-in qu’aux critiques littéraires. Ce n’est pas très grave. Corman, fatigué de chercher l’effet macabre avec ses adaptations de Poe, décide dans Le Corbeau (The Raven, 1963) de faire rire avec le même auteur. Le cinéaste invente le second degré parodique, les acteurs s’amusent comme des fous, le spectateur est content.

Dans l’Angleterre du XVe siècle, Bedlo (Peter Lorre) a été transformé en corbeau par le maître sorcier Scarabus (Boris Karloff). Le Docteur Craven (Vincent Price) lui redonne son apparence humaine. Les trois magiciens en quête de formules secrètes et de sortilèges vont tour à tour (de magie) s’associer, se trahir et se défier. Ouvertement orientée vers la comédie, cette cinquième adaptation d’Edgar Poe par Roger Corman assume les distances prises avec l’œuvre originale du grand écrivain américain, volontiers trahie par le cinéma, et se présente comme une vaste blague. Malin, Corman a compris qu’il était vain de continuer à vouloir faire peur avec l’attirail gothique, et que le burlesque et la dérision étaient les meilleures armes pour mettre le public des campus dans sa poche. De ce jeu de massacre, les acteurs, pourtant proches de la maison de retraite (surtout Karloff et Lorre, en fin de partie), sortent vainqueurs. Il n’est pas hasardeux de prétendre que les véritables auteurs d’un tel film ne sont ni Corman et son scénariste Richard Matheson (malgré leur projet parodique), et encore moins Poe, mais le génial trio de cabotins semi grabataires qui s’en donne à cœur joie dans l’improvisation rivale et la grimace complice. Lorre et Karloff ne survivront pas longtemps à cette joyeuse entreprise de liquidation. L’impérial Vincent Price va au contraire traverser les années 70 et 80 pour quitter la scène après une ultime et émouvante rencontre avec le jeune Tim Burton, sorte de néo Corman nostalgique et surdoué.

Le plus fameux de la série Poe est sans doute Le Masque de la mort rouge (The Masque of the Red Death, 1964) devenu un petit classique. Le film bénéfice de la meilleure direction artistique et de l’interprétation la plus homogène de toute l’œuvre de Corman. Tourné en Grande-Bretagne, ce récit médiéval est demeuré célèbre pour l’extraordinaire photographie de Nicolas Roeg (futur réalisateur de Ne vous retournez pas) qui crée un univers chromatique excessif et inoubliable. La Tombe de Ligeia (The Tomb of Ligeia, 1964) n’est pas mal non plus, avec une dernière fois Vincent Price amusant en dandy dégénéré.

Tous ces films sont disponibles en DVD, en France principalement chez l’éditeur Sidonis.

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