C’était l’un des rares films maudits du cinéma contemporain. Malgré une présentation en grande pompe en sélection officielle hors compétition au Festival de Cannes en 2007, Go Go Tales était demeuré invisible, en raison d’obscurs blocages juridiques, droits musicaux et conflits avec les producteurs. Ces affaires réglées, Go Go Tales sort enfin du purgatoire et a trouvé le chemin des écrans français depuis le 8 février grâce à la persévérance du distributeur éditeur Capricci. Tourné entièrement à Cinecittà, lors de l’exil italien d’Abel Ferrara dans les années 2000, Go Go Tales succède à Mary, lui aussi tourné loin des Etats-Unis, avec des capitaux internationaux. Après la gloire dans les années 90, et une frénétique succession de chefs-d’œuvre, Ferrara a connu non pas un passage à vide mais une période plus difficile sur le plan économique après un grand film malade, New Rose Hotel, qui sonna le glas de son état de grâce auprès des financeurs du cinéma indépendant américain. Go Go Tales, dans la lignée de New Rose Hotel et de 4 :44 Last Day on Earth (son dernier et génial opus découvert à Venise l’année dernière) est un film magnifique qui concentre son action dans un lieu unique, le Paradise, un club chic de « burlesque » de South Manhattan imaginé de manière très stylisée dans les fameux studios romains. Ray Ruby est le patron charismatique de ce lieu à la mode, qui doit affronter de gros problèmes de trésorerie : Tandis que les filles menacent de faire grève si elles ne sont pas payées, Ray se bat contre les propriétaires des lieux qui veulent fermer le club. A travers l’histoire du manager du club désespérément à la recherche d’argent pour que son univers nocturne et hédoniste continue d’exister, Ferrara aborde ses thèmes de prédilection : la dépendance (Ruby est un joueur invétéré, comme le bad lieutenant qui était aussi dangereusement accro aux drogues), les nuits new yorkaises, mais aussi la résistance. On a longtemps négligé la dimension politique du cinéma de Ferrara, déjà présente dans The King of New York, et qui devient plus évidente dans Go Go Tales. Le Paradise est une communauté utopique et poétique en sursis, un petit coin de paradis voué à disparaître à cause de la spéculation (comme le Chelsea Hotel auquel Ferrara consacra un documentaire quelques mois avant sa fermeture définitive.)
Ode au monde de la nuit et du spectacle, Go Go Tales est le petit théâtre d’Abel Ferrara, son French Cancan ou son Meurtre d’un bookmaker chinois à lui. Difficile de ne pas reconnaître dans le personnage de manager de Willem Defoe un alter ego de Ferrara, seul maître à bord sur ses tournages, même lorsque la barque coule, parrain bienveillant d’une troupe d’acteurs et de techniciens prêts à tous les sacrifices pour tourner avec lui. Go Go Tales, malgré sa mélancolie évidente, est aussi pour la première fois dans l’œuvre de Ferrara une franche comédie qui fuit le sordide et le désespoir pour oser les gags et l’humour le plus débridé. Pour montrer le délabrement du club, une danseuse se brûle les fesses dans une machine à bronzer défectueuse, et Ruby ne trouve rien d’autre que le Loto pour sauver le Paradise « The show must go on » et les héros de Ferrara préfèrent danser sur le volcan en attendant l’apocalypse plutôt que de renoncer à leurs rêves. Aux côtés d’un grand Willem Dafoe, la troupe de Ferrara se bouscule dans le petit décor italien, les fidèles comme les nouveaux venus : Matthew Modine, Asia Argento, Stefania Rocca, Riccardo Scamarcio, Bob Hopkins, Anita Pallenberg, Burt Young, Lou Doillon, Romina Power et Shanyn Leigh, muse et compagne du cinéaste qui interprète le rôle féminin principal de 4 :44 Last Day on Earth toujours avec Willem Dafoe en double de Ferrara.
Ce retour de Ferrara sur le devant de la scène cinématographique fut amorcé en août 2011 lors du Festival del film Locarno où le cinéaste américain, en pleine forme, reçut le Pardo d’onore Swisscom pour l’ensemble de sa carrière, délivrant à cette occasion une masterclass vraiment magistrale. De passage à Paris pour la promotion de Go Go Tales, Ferrara a confirmé son souhait de consacrer son prochain film aux mésaventures new yorkaises de DSK, avec Gérard Depardieu (autre invité de marque de la 64ème édition du Festival del film Locarno) dans le rôle de l’ex patron du FMI. Un projet à la fois improbable et évident (« I am addicted » avoue Ruby dans Go Go Tales) et néanmoins très excitant.
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