Olivier Père

Le Marin masqué de Sophie Letourneur

Le nouveau court métrage de Sophie Letourneur sortira en salles le 8 février (malgré un format inhabituel de 38 minutes), distribué par Shellac films, après une longue et fructueuse carrière dans de nombreux festivals de cinéma. Le Marin masqué avait été présenté dans la section « corti d’autore » du Festival del film Locarno en été 2011, en première internationale, avant de triompher, entre autres, au Festival « Entrevues » de Belfort au mois de novembre de la même année.

Le Marin masqué est un court métrage hilarant et profondément original. La jeune cinéaste française est déjà connue et appréciée grâce à ses précédents films courts (La Tête dans le vide, Manue Bolonaise, Roc et Canyon) et elle a signé en 2009 un premier long métrage surprenant, La Vie au ranch. La Tête dans le vide suivait les conversations alcoolisées de trois copines, et déjà Letourneur inventait un ton et un humour, une façon de filmer la fonction phatique du langage, les mots qui servent avant tout à combler le vide et créer du lien, sans forcement faire sens, que plusieurs d’entre nous avaient remarqué et apprécié. C’était en 2004. L’année suivante Sophie Letourneur signait Manue Bolonaise, présenté avec succès à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Manue Bolonaise était une très fine étude de l’état de préadolescence (les mêmes filles avec dix ans de moins, soit un retour en arrière dans les souvenirs de la cinéaste), et l’évocation sensible des premières émois avec les garçons, de la fin de l’enfance. Roc et Canyon (2007) était une tentative gonflée de tournage improvisée dans une colonie de vacances. La Vie au ranch continuait l’exploration sociologique et linguistique de La Tête dans le vide avec la chronique d’un groupe de filles, fêtardes, déchainées et immatures, quelque chose de jamais vu au cinéma, du naturalisme hyper stylisé. Ses quatre premiers films ont été réunis sur un DVD sorti l’année dernière, édité par Shellac. Fortement recommandé, car c’est l’apparition d’une voix et d’un regard uniques dans le jeune cinéma français, véritablement rebelles et indépendants. La Tête dans le vide contenait déjà les qualités du cinéma de Sophie Letourneur, et les différents films, malgré leur brièveté, constituent une œuvre en devenir et en mouvement. Sophie Letourneur, dès ses débuts, a développé des méthodes de travail et d’écriture très particulières, proche de Jean Eustache dans son ambition d’enregistrer la matière brute du réel, en s’inspirant de sa vie et de celles de ses copines tout en procédant à un méticuleux travail d’écriture, littéraire et cinématographique. Elle enregistre des heures de conversations, observe et écoute ses ami(e)s, avant de réécrire des dialogues qu’elle fait jouer aux mêmes personnes. Le Marin masqué procède d’un niveau supplémentaire de stylisation avec le choix du noir et blanc et surtout l’intervention d’une post-synchronisation antinaturaliste et de voix off distanciatrices qui ajoutent des commentaires humoristiques à des dialogues et à des situations déjà cocasses ou embarrassantes. Sophie et sa copine Laetitia partent en Bretagne. Sophie est déprimée et Laetitia bien qu’heureuse en couple hésite entre nouvelles rencontres et le souvenir d’un amour d’adolescence. Quand Raoul Ruiz rencontre Jacques Rozier et Luc Moullet… Version féminine. On a connu pire comme références, surtout que Sophie Letourneur, devant et derrière la caméra, ne s’en formalise guère et invente une nouvelle forme de comédie de situations et de sentiments, qui n’appartient qu’à elle.

 

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