Olivier Père

Le Samouraï de Jean-Pierre Melville

Le Samouraï en 1967 est une étape décisive vers l’abstraction glacée qui caractérise la dernière partie de la filmographie de Jean-Pierre Melville. La rencontre entre Jean-Pierre Melville et Alain Delon, tueur à gages à la tristesse minérale, donne naissance à une œuvre désincarnée, une épure de film noir. Le minimalisme de l’action s’accompagne d’une stylisation extrême des costumes (l’imperméable et le chapeau de Delon) et surtout des décors (des rêves de commissariat et de night-club). Les deux titres suivants avec Delon, Le Cercle rouge et Un flic (ultime film de Melville, ultime poème à la gloire de l’acteur) poursuivront cette approche fantasmatique du cinéma et des stars masculines. Car ces trois films sont aussi un écrin amoureux pour l’icône Delon, silhouette frigide et opaque obsédée par la mort.

Le film fait sa réapparition le 7 décembre avec un beau Blu-ray édité par Pathé, restauré à partir de la numérisation 2 K du négatif image original. En bonus, des témoignages récents de quelques proches de Melville, un Alain Delon vintage qui ne tarit pas d’éloges sur son réalisateur préféré en promotion – trop – décontractée sur le plateau télé de Pierre Tchernia dans une émission style « Monsieur Cinéma » et Melville lui même qui parle de son film et de son travail et définit Le Samouraï comme « une longue méditation sur la solitude »

Mais surtout la précision et la netteté du Blu-ray permet de redécouvrir le film dans des conditions optimales. On l’a vu et revu dans tous les formats possibles : à la télé, au cinéma dans des copies 35mm plus ou moins bonnes, en DVD. Une nouvelle fois en Blu-ray, on savoure pour la première fois la perfection tordue de la mise en scène de Melville. Dès le premier plan du générique – une silhouette d’homme étendue sur un lit, dans une chambre miteuse minutieusement reconstituée en studio et donc plus abstraite que réaliste, le cadre rigide se met soudainement à vaciller en légers zooms et tremblement de caméra à l’apparition des premières notes de la musique sublime de François de Roubaix, pour immédiatement retrouver son immobilité tombale. Que s’est-t-il passé ? Crise de nerfs de Melville devant la beauté d’Alain Delon, mort en sursis déjà sur son linceul dès la première image ? On ne le saura jamais. Le film regorge ainsi de détails déstabilisants et de trouvailles géniales et invisibles qui transportent le spectateur exactement là où Melville veut l’emmener. Superbe plan où la caméra adopte soudain le point de vue du miroir dans lequel Delon ange narcissique ajuste parfaitement son chapeau ; raccord improbable où Delon impassible dégaine plus vite que son ombre pour exécuter son contrat, un propriétaire de boîte de nuit ; évidemment, le plan iconique de la mort de Jeff Costello (car s’est ainsi que s’appelle Delon dans le film), qui abattu par la police se fige en statue de marbre, les bras étrangement en croix sur le torse, gants blancs sur manteau sombre, avec un mince filet de sang à la commissure de la lèvre gauche qui le fait ressembler à un vampire, créature de la nuit suppliciée sous les yeux de sa proie, une belle chanteuse métisse.

Il y a même un plan gag dans Le Samouraï : celui où Jeff Costello pris dans une rafle la nuit du meurtre, est assis dans un fourgon de police entre un homme qui est son presque sosie (Delon et ses doubles, thématique récurrente de la filmographie de l’acteur, de La Tulipe noire à Nouvelle Vague) et un autre qui au contraire ne lui ressemble pas du tout, un clochard ivre et rigolard au look de Père Noël, révélé par un léger panoramique !

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