Le 3 août, c’est évidemment la date de l’ouverture du prochain Festival del film Locarno.
Hasard du calendrier des reprises estivales, deux films historiques pas comme les autres devaient faire leur réapparition sur les écrans parisiens le 3 août. Finalement, Reds sera proposé plus tard (sortie repoussée à la rentrée ou au début de l’année prochaine) par son distributeur Carlotta, ce qui rend ce texte on ne peut plus arbitraire et sans la moindre actualité. Il n’empêche. Nous avons envie d’évoquer deux chefs-d’œuvre atypiques, mis en scène par des personnalités on ne peut plus opposées (un aristocrate marxiste italien et un acteur hollywoodien) mais qui se rejoingnent par leur ambition démesurée et leur volonté de filmer l’histoire à travers deux destinées exceptionnelles. Il y a au moins dans Ludwig et Reds une idée commune, celle de décomposer le récit et de multiplier les points de vue sur un héros central à la fois historique et secret, énigmatique, insaissisable (même si les films imposent finalement la vision du cinéaste.) Visconti fait régulièrement surgir de l’obscurité les visages de ceux qui distillent la parole officielle sur Ludwig (fou, malade, irresponsable, inapte à gouverner, décadent) après sa mort mais que le cinéaste désigne implicitement comme les assassins du monarque, retrouvé mystérieusement noyé. Beatty a l’idée novatrice de convoquer près de vingt hommes et femmes, contemporains de John Reed et survivants de l’époque (parmi lesquels le romancier Henry Miller), pour apporter leurs témoignages sur le journaliste américain impliqué dans la révolution bolchevique, filmés en vidéo et insérés au fil de la luxueuse reconstitution mise en scène par Beatty et son directeur de la photographie Vittorio Storaro.
En 1973, Luchino Visconti conclut sa « trilogie allemande » commencée par Les Damnés et Mort à Venise avec Ludwig, évocation du destin de Louis II de Bavière, de son couronnement (1864) à sa mort (1886). Helmut Berger, amant et interprète de Visconti, incarne un Ludwig rêveur, visionnaire et poétique et livre la composition de sa vie. Le tournage titanesque accouche d’une œuvre monstre, sans doute la plus géniale de son auteur, mais qui sera, une nouvelle fois, un véritable gouffre financier. Le film connaîtra de sévères coupes lors de sa distribution internationale et ce n’est qu’après la mort de Visconti que nous pourrons contempler cette œuvre grandiose dans sa version intégrale de quatre heures, qui circule désormais en salles et en DVD. En France le film est distribué par Les Acacias.
Reds (1981) est un film plus intéressant que sa réputation de fresque intimiste couronnée par plusieurs oscars, voire que son ambitieux projet de biographie hollywoodienne de John Reed, figure légendaire de la gauche américaine. Reed, journaliste et activiste communiste, témoin de la Révolution russe, fut l’auteur du célèbre 10 jours qui ébranlèrent le monde préfacé par Lénine. Le sujet, anachronique dans l’Amérique des années 80 et son regain d’anticommunisme, aurait pu laisser craindre une superproduction académique, une version plus intellectuelle du Docteur Jivago de David Lean. Heureusement, le résultat mégalomane de Reds, est à l’image de son auteur complet, Warren Beatty : intelligent, complexe, séduisant. Acteur sous-estimé dont on a oublié la place essentielle dans le cinéma américain des années 70, la star au physique de play-boy fut un auteur avant de passer directement à la mise en scène, en produisant la plupart des films où il avait la vedette. Reds lui fournit l’occasion de devenir un véritable cinéaste en abordant un sujet frontalement politique. La réussite de Reds tient dans l’équilibre émouvant que le film installe entre l’histoire d’amour de John Reed avec l’écrivain féministe Louise Bryant et la relation étroite que le couple va entretenir avec l’Histoire du XXème siècle. Comme un autre beau film de la même époque, New York, New York de Martin Scorsese, Beatty montre avec beaucoup de subtilité le rapport au travail et au monde que peut entretenir un couple, parallèlement à ses tourments intimes. C’est cette dimension intimiste qui surprend le plus dans un film historique à grand spectacle qui malgré la tentation de son sujet ne sacrifie jamais aux mouvements de foules mais se concentre au contraire sur les dialogues, les affrontements verbaux, les débats d’idées ou les scènes de ménage. Il y a dans Reds l’idée géniale de ne montrer en 3h08 de film sur la Révolution que deux très courtes scènes d’action, où l’on voit John Reed absurdement courir après un chariot, d’abord au Mexique puis en Russie, sans que le sens concret ou allégorique de cette course (sauver sa peau ? rattraper le cours de l’Histoire ?) ne soit explicité. Géniale aussi l’insertion tout au long du film des entretiens filmés en gros plans de divers témoins réels de la vie de Reed, qui apportent des commentaires très impressionnistes, parfois anecdotiques, en marge de la fiction cinématographique. Cette proximité inédite entre des images et des sons documentaires et la reconstitution hollywoodienne la plus luxueuse n’est pas la moindre invention d’un film audacieux et réfractaire au monumentalisme.
On a appris il y a quelques jours que Warren Beatty avait décidé de sortir de sa retraite (son dernier film en tant que réalisateur, le formidable Bullworth, date de 1998) et de réactiver son vieux projet de biographie filmée d’Howard Hughes (devancé par le guère convaincant Aviator de Scorsese en 2004), qu’il interprèterait et mettrait en scène. Croisons les doigts.
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