Olivier Père

Au fond des bois de Benoît Jacquot

Benoit Jacquot à Locarno en 2010. Présentation Au fond des bois Piazza Grande.

Benoît Jacquot à Locarno en 2010.

Au fond des bois de Benoit Jacquot, présenté en ouverture du 63ème Festival del film Locarno l’été dernier, est une histoire de désir et d’envoûtement. Très surprenant et même sidérant par moments, il s’inscrit néanmoins dans une œuvre qui s’est souvent prise au jeu de suivre au plus près les mouvements du cœur, du corps et de l’esprit d’une jeune femme, tenter de capter les subtiles variations du passage de l’adolescence à l’âge adulte. Même si cette transformation s’effectue cette fois-ci sous le règne de la violence et de la folie. En 1865, un garçon sauvage, avec des talents de magnétiseurs, hypnose la fille du médecin de campagne qui l’a hébergé, et abuse d’elle. Il enlève la jeune fille au fond des bois et connaît avec elle une intense relation charnelle. La police met la main sur le couple en cavale. Le consentement physique et moral de la « victime » (ou non) devient la question centrale du procès qui va suivre.
Le thème de la fuite est au cœur de l’œuvre de Jacquot. L’hypnose et la sexualité féminine traversaient déjà le très contemporain Septième Ciel en 1997, placé sous le signe de Jacques Lacan, auquel Jacquot avait consacré un documentaire en 1974. Au moment de l’action du film, nous sommes encore loin de la découverte de l’inconscient par Freud et des réflexions de Charcot sur l’hystérie, mais un des précurseurs de la psychanalyse, l’Allemand Mesmer, fondateur de la théorie du magnétisme animal, connaît encore une influence importante et controversée dans les milieux médicaux.
Ici, l’histoire du rapt est révélatrice de deux bouleversements : l’éveil physique et sensuel de la jeune femme, et le passage d’un monde ténébreux, rural et magique à l’avènement d’une nouvelle ère, moderne et industrielle qui est signifiée lors du dernier plan du film. Le monde change, la question du sexe, part animale et irrationnelle de l’homme, va bientôt devenir un objet d’étude scientifique.

Isild le Besco et Nahuel Perez Biscayart dans Au fond des bois.

Isild le Besco et Nahuel Perez Biscayart dans Au fond des bois (2010).

Le cinéma de Jacquot est à la lisière du classicisme et de la modernité, avec des influences littéraires et cinématographiques très françaises (essentiellement Robert Bresson) mais aussi le goût de la cinéphilie américaine qui transparaît dans les méthodes de travail du cinéaste, son goût de la commande et de la rapidité d’exécution, loin de la posture du cinéma d’auteur européen. La mise en scène inspirée et nerveuse de Jacquot retrouve la vitesse (une « vitesse lente ») des séries B américaines de Jacques Tourneur, maître du fantastique mais aussi du western. La nature sublimée par le cinéaste, qui nous avait davantage habitué à des films urbains et en intérieurs, est une nature dynamique et accidentée. Rien de contemplatif dans son cinéma. Le film peut être vu comme des adieux cinématographiques à Isild Le Besco, filmée à plusieurs reprises par le cinéaste depuis Sade en 2000 (A tout de suite, L’Intouchable, autant de portraits amoureux) et qui irradie de sa beauté fiévreuse et indomptable. De tous les plans, magnifique de sensualité, elle est détentrice d’un mystère que le film ne prétend pas résoudre mais que le cinéaste enregistre avec un mélange de stupeur et d’admiration.
Au fond des bois
compta parmi les meilleurs films français de l’année 2010. Il sort aujourd’hui en DVD aux éditions des films du Losange. Benoit Jacquot tourne actuellement un nouveau film historique, Les Adieux à la reine d’après le roman de Chantal Thomas, sur la relation entre Marie-Antoinette et une des ses dames de compagnie. Auprès de Diane Kruger dans le rôle de la reine, on retrouvera Léa Seydoux, Virginie Ledoyen (déjà magnifiquement filmée par le cinéaste dans La Fille seule), Noémie Lvovsky, Lolita Chammah et le grand Jacques Nolot.

Catégories : Coproductions

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