Je découvre dans les pages de « Libération » de mercredi dernier, grâce à un article de Philippe Azoury, que le festival « Théâtres au cinéma » de Bobigny organise une rétrospective de tous les films d’Alain Tanner, du 9 au 22 mars. Après les hommages à la Cinémathèque française et à la Cinémathèque suisse en 2009, voici une nouvelle occasion de voir ou revoir l’œuvre d’un cinéaste important, passionnant et attachant. Philippe Azoury analyse avec justesse le parcours d’un homme, d’un artiste et d’une œuvre qui furent d’abord synchrones avec leur temps (68 et l’après 68) avant d’entrer dans une longue période de résistance et de fuite, choisissant le monde contre la société, le rêve contre la réalité, et finalement le repli et le silence, fatigués de lutter contre un système de plus en plus hostile à un rebelle et un idéaliste de la trempe d’Alain Tanner. Véritable empêcheur de filmer et de penser en rond, Tanner savait quand il tournait ses derniers films qu’il n’était plus à la mode et s’en moquait royalement, préférant à juste titre rester fidèle à ses convictions sur la vie et le cinéma. J’ai été très heureux de remettre le Léopard d’honneur Swisscom à Alain Tanner pour ma première édition du festival del film Locarno en tant que directeur artistique en août 2010. Alain Tanner est un des auteurs majeurs non seulement du cinéma suisse, mais aussi des nouveaux cinémas qui autour de 68 firent souffler un vent de liberté sur les écrans du monde entier (Garrel, Straub, Rocha, Schroeter et Fassbinder, Oshima, Skolimowski, Bellocchio et Bertolucci, Forman et Passer, pour n’en citer que quelques-uns parmi les plus talentueux.) De Charles mort ou vif (1969, Léopard d’or au Festival del film Locarno) à Paul s’en va (2004, ses adieux au cinéma en forme de bilan désenchanté), Alain Tanner, fidèle à l’idée selon laquelle la beauté est une forme de résistance, a toujours démontré une indépendance et une intelligence rares. À la fin des années 60, Alain Tanner et quatre cinéastes de la même génération (Michel Soutter, Claude Goretta, Jean-Louis Roy, Jean-Jacques Lagrange) fondent le Groupe 5 et décident de produire leurs films en toute liberté. C’est l’acte de naissance du cinéma suisse moderne, qui va connaître quelques coups d’éclat comme La Salamandre (1971), film enquête au succès inattendu où triomphe la merveilleuse Bulle Ogier en ouvrière insoumise. Témoins de leur temps, les films d’Alain Tanner en formulent aussi la critique et osent s’aventurer sur les territoires du rêve, de la poésie, du désir et de la révolte. Placé sous le signe des utopies, puis des voyages, imaginaires ou réels, son cinéma est détenteur d’une poésie des lieux, prêt à « voler la matière du monde », mais toujours avec honnêteté et douceur. Chaque long métrage d’Alain Tanner est une invitation à la fugue, entre distanciation et empathie amoureuse pour les sujets filmés, qu’ils soient hommes, femmes ou paysages. « Pour renouveler le film, il faut un mélange de métropoles et de déserts. Je suis imprégné du lieu. Je ne parle pas du décor, mais du lieu, de l’érotisme du paysage. Cette expression ne vient pas de moi, mais je l’aime bien » a dit Alain Tanner en 1996. En 2007, Alain Tanner a signé aux éditions du Seuil « Ciné-mélanges », magnifique livre de souvenirs sur une vie de cinéma mais aussi manifeste et art poétique où le cinéaste dispense nombre d’aphorismes, réflexions et idées claires et vivifiantes sur son métier. Le Milieu du monde, Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000, Les Années lumière (Grand Prix au Festival de Cannes en 1981), Dans la ville blanche (photo en tête de texte, sans doute le chef-d’œuvre de son auteur, avec Bruno Ganz en marin en escale à Lisbonne), Une flamme dans mon cœur, pour ne citer que quelques titres essentiels parmi les 19 films, ont profondément marqué plusieurs générations de spectateurs. Après Paul s’en va, en 2004, Alain Tanner a décidé d’interrompre sa carrière de cinéaste. Ce Léopard d’honneur Swisscom, remis dans sa quatre-vingtième année, fut le couronnement d’une œuvre et d’une vie vouée au cinéma, et un salut fraternel à un cinéaste qui a toujours été proche du Festival del film Locarno, dont il avait même fait partie du comité de sélection à une époque. Nous en gardons tous un souvenir ému et joyeux. Alain Tanner est venu en famille, avait présenté quelques-uns de ses films et rencontré le public pour une leçon de cinéma animée par Serge Toubiana. Le point culminant de cet hommage avait été l’impressionnante « standing ovation » réservée à Alain Tanner sur scène par le public de la Piazza Grande (près de 8000 spectateurs, tout de même) le soir de la remise de la fameuse statuette de léopard en or, après la projection d’un émouvant court métrage spécialement réalisé pour l’occasion par Jacob Berger, cinéaste et ami d’Alain Tanner, qui a travaillé avec lui comme assistant et acteur (La Vallée fantôme, avec Jean-Louis Trintignant et Laura Morante, beau film). Nul doute que le festival « Théâtres au cinéma » sera lui aussi l’occasion de belles rencontres avec Alain Tanner, entouré de ses amis et exégètes mais aussi de son scénariste John Berger (écrivain et peintre, père de Jacob, il a écrit La Salamandre, Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000, Le Milieu du monde) auquel le festival rend également hommage.)
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