Olivier Père

Intégrale Vincente Minnelli au 64ème Festival del film Locarno

A l’occasion d’une conférence de presse lors des 46èmes Journées de Soleure, rendez-vous incontournable de tout le cinéma suisse, nous avons annoncé vendredi 21 janvier la prochaine rétrospective du Festival del film Locarno. Après Ernst Lubitsch en 2010, nous rendrons hommage cet été à un autre immense cinéaste, Vincente Minnelli. Célèbre pour ses nombreux classiques de la comédie musicale, Minnelli était aussi un maître de la comédie et du mélodrame, un esthète dont les films déploient des trésors d’émotion, d’intelligence et de sophistication.

Vincente (né Lester Anthony) Minnelli naît le 28 février 1903 dans une famille d’artistes forains, à Chicago. Il fait ses débuts sur les planches à trois ans et demi, et se passionne très jeune pour la littérature, la peinture et le dessin. Il est d’abord décorateur dans un grand magasin, puis costumier de théâtre. Son ambition le porte à New York où il devient directeur artistique du Radio City Music Hall, puis metteur en scène de spectacles. Sacré « Prince du Music Hall », Minnelli est inévitablement attiré par les sirènes d’Hollywood. Après un faux départ en 1936, c’est sa rencontre en 1940 avec le producteur Arthur Freed qui va sceller des débuts fructueux dans l’usine à rêves. Freed, l’homme qui a révolutionné la comédie musicale offre à Minnelli un contrat à la MGM. Le cinéaste débute sa carrière avec Cabin in the Sky (1943), comédie musicale entièrement interprétée par des Noirs (une première depuis Hallelujah de King Vidor). Le film est un succès. Meet Me in St. Louis (1944), interprété par Judy Garland qui deviendra la première épouse du cinéaste l’année suivante, et son actrice de prédilection, inaugure une longue liste de chefs-d’œuvre : Ziegfeld Follies, The Clock, The Pirate, Madame Bovary, Father of the Bride, An American in Paris, The Bad and the Beautiful, The Band Wagon, Brigadoon. Entre rêve et réalité, humanisme et cruauté, le monde réel et sa représentation stylisée, les films de Minnelli marquent l’apogée du classicisme hollywoodien, mais témoignent également d’une approche aussi personnelle qu’élégante des sentiments amoureux et des personnages exaltés. An American in Paris est bien sûr un des film les plus connus de Minnelli, et de toute l’histoire du cinéma, mais la plus belle comédie musicale du cinéaste est sans doute The Pirate, sur des personnages absorbés par leur rêve et surtout par le rêve de l’autre, comme l’a analysé Gilles Deleuze dans des pages célèbres de son essai sur le cinéma. Le film suivant de Minnelli, Madame Bovary, ne parle pas d’autre chose. Adaptation hollywoodienne, certes, mais aussi profondément personnelle et brillante du roman de Flaubert, Madame Bovary rejoint en effet les personnages névrosés de Minnelli, toujours à la poursuite de leurs rêves et en butte à la réalité. J’ai écrit sur The Band Wagon, adieu à l’âge d’or de la comédie musicale d’une étonnante modernité, un texte paru dans l’ouvrage collectif « Take 100 » aux éditions Phaidon, dont la traduction française devrait bientôt paraître, éditée par les Cahiers du cinéma.

À partir de la seconde moitié des années 50, Minnelli exacerbe la dimension romanesque de son cinéma avec de puissants mélodrames, intimistes ou flamboyants, dans lesquels sa mise en scène se révèle plus chorégraphique et picturale que jamais. The Cobweb, Lust for Life, Tea and Sympathy, Gigi, Some Came Running, Home from the Hill, The 4 Horsemen of the Apocalypse, Two Weeks in Another Town, The Courtship of Eddie’s Father, The Sandpiper alternent à la même époque avec des comédies plus légères. Il faudrait revoir The Long, Long Trailer, The Reluctant Debutante ou Goddbye Charlie (qui sera refait par Blake Edwards sous le titre Switch) pour estimer leur importance réelle dans la filmographie de Minnelli. C’est une période moins admirée dans la carrière du cinéaste, et pourtant elle regorge de films géniaux parfois mal reçus au moment de leur sortie. Lust for Life est une splendide biographie de Van Gogh interprétée avec fièvre par Kirk Douglas, dans laquelle Vincente Minnelli exprime son génie de coloriste. Au-delà des recherches esthétiques du cinéaste, le film propose une magnifique méditation sur l’art et la création. Some Came Running est sans doute le chef-d’œuvre de la veine mélodramatique du cinéaste et offre à Frank Sinatra, Dean Martin et surtout Shirley MacLaine (le film lui permettra de remporter un Oscar) des rôles inoubliables à la mesure de leur talent. On pourrait dire la même chose de Home from the Hill, tragédie sudiste sur la figure du père, avec un Robert Mitchum extraordinaire. The 4 Horsemen of the Apocalypse, remake du film muet avec Rudolph Valentino, est une fresque intimiste où la démesure des moyens se marie à l’intelligence du propos, à l’instar de l’Exodus de Preminger, autre exemple de réussite à la fois spectaculaire et au plus près de l’humain. Cette subtilité se retrouve dans l’admirable et bouleversant The Courtship of Eddie’s Father, sans doute un des plus beaux films réalisés sur le deuil et la relation père-fils. Quant à Two Weeks in Another Town, il fait écho à The Bad and the Beautiful, autre film de Minnelli sur le cinéma réalisé dix ans plus tôt avec le même acteur, Kirk Douglas. The Bad and the Beautiful racontait l’histoire d’un producteur ambitieux et passionné à Hollywood (inspiré par Val Lewton), évoqué par ceux qui l’avaient connu et démontrait le talent de Minnelli dans le registre du mélodrame psychologique. À ce classique du cinéma sur le cinéma succède Two Weeks in Another Town, dans lequel Minnelli décrit l’envers du décor de l’industrie hollywoodienne du début des années 60, délocalisée dans les studios romains de Cinecittà, avec une galerie de stars déchues, de producteurs incompétents et de cinéastes vieillissants. Le cinéma américain, victime de son artificialité, entre dans une période de déclin, obligé d’exporter ses tournages en Europe. Il s’agit de l’un des mélodrames les plus pessimistes du cinéaste, et peut-être, comme me le confiait le cinéaste Benoit Jacquot, le plus beau film jamais réalisé sur le monde du cinéma. La suite de la carrière de Minnelli donne à Two Weeks in Another Town une valeur autobiographique et testamentaire. Victime du déclin du système des studios, Minnelli a de plus en plus de mal à tourner des films. The Sandpiper, malgré ses beautés éparses, et surtout On a Clear Day You Can See Forever (sur le thème de la réincarnation, qui semble passionner Minnelli) sont des films décadents. Son ultime mise en scène, au prix de nombreux efforts et frustrations, est l’émouvant A Matter of Time en 1976, interprété par Ingrid Bergman et sa propre fille, Liza Minnelli. Le cinéaste meurt en 1986. Il aura dirigé avec brio les plus grandes stars d’Hollywood : Fred Astaire, Gene Kelly, Katharine Hepburn, Jennifer Jones, Spencer Tracy, Leslie Caron, Kirk Douglas, Deborah Kerr, Gregory Peck, Frank Sinatra, Shirley MacLaine, Robert Mitchum, Elizabeth Taylor, Richard Burton… An American in Paris et Gigi ont remporté l’Oscar du meilleur film, et Vincente Minnelli l’Oscar du meilleur metteur en scène pour le deuxième titre (vainqueur de neuf Oscars en 1958.)

Le 64ème Festival del film Locarno se tiendra du 3 au 13 août 2011.
Tous les films de Vincente Minnelli y seront projetés dans les meilleures copies 35mm, avec une table ronde, des invités et des présentations de films par des cinéastes, des acteurs ou des critiques, en partenariat avec TCM. Une grande partie de la rétrospective sera reprise à la Cinémathèque suisse à l’issue du festival, ainsi qu’à l’Action Christine à Paris, salle qui a beaucoup contribué à la redécouverte de Minnelli ces dernières années (et à de nombreux autres cinéastes américains essentiels) avec la distribution en copies neuves de certains de ses plus beaux films. Cet hommage à un des plus grands auteurs du cinéma américain sera accompagné d’un ouvrage d’Emmanuel Burdeau, ex-rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, co-édité par Capricci et le Festival del film Locarno. Dans cet essai illustré, l’auteur proposera une réflexion originale sur l’œuvre de Minnelli et la fin du classicisme hollywoodien, avec une réévaluation critique des mélodrames tardifs du cinéaste-dandy et le souci de voir comment derrière le « rêve » minnellien si souvent commenté il y a mille choses aussi fortes : une pensée de l’art, une politique, un portrait de l’enfance, un certain rapport avec l’arrivée de la télévision…

De tous ces films, et des autres aussi que nous aimons tant (The Clock, Undercurrent, Father of the Bride, The Cobweb, Designing Woman, Tea and Sympathy, Gigi…) il sera de nouveau question dans ces colonnes, et sur le site www.pardo.ch, avant et pendant le festival.

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