Olivier Père

Gremlins de Joe Dante

 

Gremlins

Gremlins

Divertir (en effrayant) et critiquer (en s’amusant) : Cette dualité constante traverse l’œuvre de Joe Dante, dont la fidélité à une certaine idée du cinéma et à une certaine idée du monde a fini par le transformer en franc-tireur du cinéma américain. Comme pour Frank Tashlin jadis, l’Amérique n’a pas apprécié trop longtemps de voir des impulsions satiriques (et sadiques) parasiter le divertissement attendu. Joe Dante persiste à faire un cinéma référentiel presque trop culturel pour le public du samedi soir, trop personnel pour les studios, et pas assez sérieux pour la critique. Ses films sont toujours subversifs, irrévérencieux, échappent au formatage. Ils ne sacrifient jamais à la séduction du spectateur et à sa satisfaction immédiate : un film comme Gremlins ne racole pas, et  dissimule sous les couleurs acidulées et criardes du dessin animé, du conte de Noël et du récit d’épouvante un projet satirique, une vision caustique de la société du spectacle que Dante est parvenu à critiquer de l’intérieur. Gremlins, réalisé en 1984, son seul véritable triomphe commercial, est aussi une des réussites les plus éclatantes du système Dante : un récit à plusieurs niveaux de lecture, une déclaration d’amour à la série B et au fantastique, un art très subtil de la citation, une parabole sur la place du spectateur et le rapport au cinéma dans notre inconscient et notre vie quotidienne.
Dans Gremlins Dante traite à égalité ses deux thèmes de prédilection : la cinéphilie et la politique. Que serait le cinéma de Dante sans cette moquerie du délire paranoïaque et de la peur de l’autre qui alimente la menace anarchique des Gremlins sur une petite ville modèle de la province américaine ?
« Créatures fantastiques et imaginaire cinéphilique », tels pourraient être le sous-titre (et le programme) de Gremlins, qui pratique un véritable art de la citation : L’Invasion de profanateurs de sépultures, Dracula, Blanche-Neige et les sept nains, mais surtout La vie est belle, le chef-d’œuvre de Frank Capra, dont Dante reproduit plusieurs scènes et s’inspire pour la description d’une petite communauté provinciale. La crise économique et la malfaisance d’un riche industriel qui dévastent le paysage urbain et la douceur de vivre de la bourgade sont remplacées par la méchanceté et la violence des bestioles, mais les effets (et la structure « avant-après ») sont les mêmes.
Dans La vie est belle, James Stewart, le soir de Noël, songe à se suicider. Dans Gremlins, des petits monstres sèment la pagaille et tuent plusieurs personnes durant les fêtes de Noël.
En cette saison, il m’est impossible de ne pas penser à ces deux films.

Blake Edwards, autre grand satiriste (dans un autre registre) est mort le 16 décembre. Je vous invite à lire mon hommage à ce grand cinéaste dans un excellent site tessinois sur la culture cinématographique, « Rapporto confidenziale » (en italien), qui sera mis en ligne vers la fin du mois.

http://www.rapportoconfidenziale.org/

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