Olivier Père

Hommage à Dino De Laurentiis

Un peu visionnaire, un peu filou, un peu opportuniste, très autoritaire, assez malin et gros parieur, Dino De Laurentiis avait toutes les qualités et aussi les défauts pour devenir un producteur important. Il n’avait peur de rien, et surtout pas de la faillite et du ridicule, habitué aux triomphes mais aussi aux bides. Avec pas loin de cinq cents films produits entre l’Italie et Hollywood, en soixante-dix ans de carrière, Il était devenu un des plus grands entrepreneurs de spectacle de l’histoire du cinéma, mais aussi une sorte de mécène providentiel pour quelques génies nommés Fellini, Visconti, Bergman, Cimino ou Lynch.
Il est mort le 11 novembre à l’âge de 91 ans, à Hollywood.

 

Fils d’un fabricant de pâtes de l’Italie méridionale, De Laurentiis envisage d’abord de devenir acteur. Après un peu d’assistanat sur des tournages, il produit ses premiers films à vingt ans, et connaît vite le succès.

 

Dans l’après-guerre, véritable âge d’or du cinéma italien, le jeune De Laurentiis produit plusieurs classiques, avec presque tous les plus grands cinéastes, souvent en partenariat avec l’autre producteur incontournable de l’époque, Carlo Ponti : Le Bandit d’Alberto Lattuada, Riz amer de Giuseppe De Santis, Europe 51 de Roberto Rossellini, La strada et Les Nuits de Cabiria de Federico Fellini. La Grande Guerre de Mario Monicelli, Une vie difficile de Dino Risi… sans oublier des comédies et des péplums. À ce palmarès impressionnant s’ajoutent des superproductions internationales, comme Guerre et Paix de King Vidor, Barrabas de Richard Fleischer, La Bible de John Huston qui sont de véritables gouffres financiers, mais De Laurentiis parvient à renflouer les caisses grâce à une multitude de petits films de genre beaucoup plus rentables, comme le formidable Danger, Diabolik de Mario Bava. En 1970, une certaine propension à la mégalomanie conduit De Laurentiis à produire un des films les plus chers de l’histoire du cinéma, et aussi un de ses plus gros bides : le monumental et complètement oublié Waterloo de Sergei Bondarchouk, dont le désastre réduira à néant les chances de Stanley Kubrick de pouvoir monter son Napoléon. Cela ne décourage pas De Laurentiis qui vend ses studios italiens, modestement baptisés Dinocittà, et part s’installer aux Etats-Unis en 1972. À Hollywood, il reste fidèle à sa boulimie et continue d’alterner cinéma d’exploitation et œuvres ambitieuses, avec les cinéastes les plus intéressants du moment, avec des fortunes diverses. Si Serpico de Sidney Lumet, L’Oeuf du serpent d’Ingmar Bergman, Ragtime de Milos Forman, L’Année du dragon de Michael Cimino sont des chefs-d’œuvre, c’est surtout avec Un justicier dans la ville de Michael Winner, King Kong de John Guillermin et Conan le barbare de John Milius que De Laurentiis gagne beaucoup d’argent. Le producteur consolide sa réputation de pourvoyeur de films B à gros budgets, devenant une sorte de Roger Corman ou Menahem Golan du riche, avec des titres excentriques essayant de surfer sur les modes des années 70 et 80. Cosa Nostra de Terence Young avec Charles Bronson arrive après Le Parrain, Hurricane est un film-catastrophe, Orca et Le Bison blanc des films avec des animaux géants, Flash Gordon une adaptation de la célèbre bande dessinée qui aurait aimé avoir le même succès que La Guerre des étoiles. Si les films sont souvent ratés et échouent à séduire le public, ils bénéficient souvent du talent d’acteurs sous contrat (Max Von Sidow) et des meilleurs techniciens italiens embauchés par De Laurentiis pour travailler avec lui en Amérique. Et contrairement aux idées reçues, Un justicier dans la ville, Mandingo, King Kong et Conan le barbare sont de très bons films, et les deux derniers titres largement supérieurs aux croûtes numériques commises par Peter Jackson et compagnie dans les années 2000. Même lorsqu’il produit ce qu’on appelle aujourd’hui du « bis » ou du « trash », De Laurentiis semble obsédé par le désir de travailler avec les plus grands cinéastes. Il y a chez lui une véritable politique des auteurs et une profonde admiration pour les artistes à forte personnalité. Il demande à Federico Fellini, Sergio Leone et Nicolas Roeg de mettre en scène Flash Gordon avant de finalement confier le projet à l’honnête Mike Hodges (le résultat, qui ressemble davantage à une opérette du Châtelet sous acide qu’à un space opera, est hilarant). C’est Roman Polanski qui devait réaliser Hurricane avant que ses problèmes notoires avec la justice l’obligent à quitter précipitamment les Etats-Unis. Parfois les rencontres audacieuses ne donnent rien de mémorable, comme avec Robert Altman (Buffalo Bill et les Indiens) et William Friedkin (Têtes vides cherchent coffres pleins). Même si Ingmar Bergman, peu habitué à diriger des centaines de figurants dans un film historique, garde un souvenir exécrable du tournage de L’Oeuf du serpent, l’idée de confier un budget important au maître suédois ne manquait pas de panache, et le résultat est fascinant. Dino De Laurentiis avait tenté de produire La Genèse de Robert Bresson avant de renoncer effrayé par les exigences et l’austérité du réalisateur français qui souhaitait faire venir tous les animaux de l’arche de Noé sur le plateau pour ne filmer que les empreintes de leurs pattes sur le sol. De Laurentiis n’avait pas la réputation d’être radin, il a dépensé beaucoup d’argent dans des films qui n’en valaient pas toujours la peine, mais il fallait au moins que cette dépense se voit à l’écran !

 

Dans les années 80, De Laurentiis produit un de ses plus spectaculaires bides, l’adaptation du roman de science-fiction « Dune » de Frank Herbert. De Laurentiis a l’idée saugrenue de confier ce dispendieux projet à un jeune cinéaste sans atome crochu avec la science-fiction qui avait déjà refusé de mettre en scène Le Retour du Jedi pour George Lucas : David Lynch. Les deux hommes accouchent d’un monument kitsch et hermétique, pas si nul que cela mais totalement anti-commercial et déphasé par rapport aux attentes des fans du livre et du grand public. De Laurentiis, pas fâché, produira le film suivant de Lynch, beaucoup plus personnel, Blue Velvet qui deviendra vite un classique et imposera le cinéaste comme un des plus importants du cinéma contemporain. Dans les années 80, De Laurentiis produit quelques redoutables navets (le film de loups garou Peur bleue, l’unique réalisation de Stephen King Maximum Overdrive, King Kong 2, Tai Pai) dont les échecs à répétition causeront la faillite de sa nouvelle compagnie DEG, quatre ans à peine après sa création. Seules les deux suites d’Evil Dead de Sam Raimi et Le Sixième Sens de Michael Mann (première apparition d’Hannibal Lecter à l’écran) sont des réussites artistiques. Curieusement De Laurentiis ne produira pas Le Silence des agneaux, mais sa suite Hannibal de Ridley Scott, le remake du Sixième Sens, Dragon rouge et une évocation lamentable de la jeunesse d’Hannibal le cannibale interprété par Gaspard Ulliel (rires) : Les origines du mal. Ultime faute de goût, le dernier film produit par Dino De Laurentiis sera Medieval Pie : territoires vierges, une adaptation libre du « Décameron » à la sauce American Pie (comme son magnifique titre français l’indique), indigne des pires sexy comédies italiennes des années 70, tournée dans la banlieue de Rome avec Hayden Christensen.

Dino De Laurentiis a été marié quarante ans avec l’actrice italienne Silvana Mangano, avec qui il a eu quatre enfants, mais dont il était séparé depuis 1981, après la mort accidentelle de leur fils. Sa fille Rafaella est elle aussi productrice et a régulièrement travaillé avec son père à partir de Conan le barbareen 1982. La seconde épouse de Dino De Laurentiis, Martha (de 35 ans sa cadette) travaillait également avec lui depuis les années 80.

Conan le barbare

Conan le barbare

 

Catégories : Actualités

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *