Olivier Père

Cannes 2015 Jour 9 : The Other Side de Roberto Minervini (Un Certain Regard)

The Other Side nous emmène en voyage dans Tiers-monde de l’Amérique, soit la face cachée des Etats-Unis, cet « autre côté » oublié et pourtant situé en plein cœur du pays.

Roberto Minervini a filmé la vie d’un couple de junkies, Mark et Lisa, et de leur entourage à Bawcomville, un quartier de West Monroe en Louisiane du Nord, région qui détient des tristes records de pauvreté (60% de la population est sans emploi) et de consommation de drogue. West Monroe est devenue l’une des capitales américaines de la métamphétamine, nouvelle drogue aussi addictive que bon marché.

Minervini, qui a vécu dans ce quartier, applique une méthode qui le situe aux marges du documentaire et de la fiction. Il procède à un travail d’immersion – après s’être installé dans le sud des Etats-Unis et avoir consacré plusieurs films à ses habitants et leur mode de vie – mais aussi de composition. Minervini est cinéaste avant d’être documentariste. La description d’une réalité aussi misérable soit-elle ne fait pas l’économie d’un sens du cadre et de la lumière qui, loin d’esthétiser ou de filtrer malhonnêtement la misère et la détresse humaine, nous la restitue dans sa terrible vérité, où les moments de beauté et de tendresse existent. Ces petits blancs ont souvent été stigmatisés par les médias et le cinéma. On les appelle communément « white trash ». Minervini n’occulte en rien leur instinct grégaire, leur culture conservatrice et fondamentalement raciste. Ils vouent une haine féroce à Barack Obama, jugé coupable de tous les maux qui les accablent. Il est vrai que le sort s’acharne sur Mark, dans la mouise depuis des années, entre prison, addiction et problèmes familiaux.

Mark accepte de temps en temps des petits boulots journaliers chez un ferrailleur. Lisa est caissière dans une boîte de strip-tease. Mark voue une passion sans limite à sa mère, en train de mourir du cancer, et à sa grand-mère, dont il s’occupe avec tendresse.

Minervini capte avec beaucoup d’émotion ces instants d’intimité et de répit dans un monde consumé par la violence.

Minervini filme à plusieurs reprises Mark et Lisa en crise, sous l’emprise de la drogue, mais aussi dans des moments de jouissance et d’apaisement, s’avouant leurs sentiments ou en train de faire l’amour, ou nus dans la nature, tels des personnages bibliques se réfugiant dans la forêt et les marais de Louisiane pour échapper à la pourriture de la ville, en quête d’un paradis perdu.

C’est au cours de ce moment de fuite dans la nature que le film procède à une césure inattendue qui lui permet d’élargir son propos. The Other Side bascule de l’étude d’un cas de détresse particulière à la présentation catastrophiste d’une révolution imminente, née du même terreau de désolation et de colère.

Les dernière 23 minutes nous transportent sans transition apparente de la Louisiane au Texas où se sont constituées des milices armées qui prophétisent la révolution civile, une nouvelle guerre civile qui opposerait le Sud et ses valeurs au gouvernement d’Obama.

Deux parties différentes, peut-être. Pas sûr. Même racisme, même haine qui glissent de la destruction de soi (la drogue) à l’instinct de mort avec la préparation de combats – des rednecks pilotés par des anciens soldats s’entraînent dans une ambiance d’ivresse lugubre au tir à l’arme lourde en prévision de l’instauration de la loi martiale et des privations des libertés fondamentales – parmi lesquelles, bien sûr, le port d’armes – par le « tyran » Obama.

On peut ainsi y comprendre un prolongement monstrueux, de la sphère privée au collectif, de ce que Minervini nous a précédemment montré : aux « shoots » d’héroïne succèdent ceux des fusils mitrailleurs, aux étreintes amoureuses la pornographie de simulacres obscènes lors de kermesses orgiaques – un type se fait sucer par une fille affublée d’un masque en caoutchouc de Obama.

La fin de The Other Side dévoile l’avènement d’une apocalypse maintenant où les rednecks se comparent aux populations du Moyen-Orient obligées elles aussi de subir l’impérialisme du gouvernement américain, comme le fait remarquer un « instructeur ». Ils se sentent étrangers, et opprimés, dans leur propre pays. Ils n’ont plus rien à perdre.

 

Un constat terrifiant pour un film qui oscille sans cesse entre horreur et douceur, violence et poésie.

 

 

 

 

 

Catégories : Actualités · Coproductions

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