Il aura fallu attendre 1991 pour que Pat Garrett et Killy le Kid (1973), à l’initiative des studios Action aidés par Turner et FR3, soit visible en salles dans le montage voulu par Sam Peckinpah (1925-1984). Aujourd’hui le film est disponible dans la version « director’s cut » en DVD, chez Warner.
Auparavant circulait une version amputée de plusieurs séquences et remontée par la MGM, sanctionnée à l’époque de sa sortie par un grave échec critique et public. Il s’agit pourtant du meilleur western de Peckinpah, et de l’un de ses films les plus personnels, tant sur le plan de la forme que des idées. Cette version posthume conforme aux vœux de l’auteur, en perpétuel conflit avec les responsables des studios, fut supervisée par l’un des monteurs du film, Gath Craven : seules quelques minutes n’ont pu être retrouvées, définitivement perdues. Le générique du « director’s cut » débute sur la mort de Pat Garrett, en 1909, filmée en sépia avec de nombreux arrêts sur images, en montage alterné avec ses retrouvailles en 1881 avec Billy le Kid.
L’ancien bandit Garrett (James Coburn, impeccable) vient d’être nommé shérif par des éleveurs et s’engage en échange de cette promesse de respectabilité à arrêter son ami Billy le Kid (le chanteur Kris Kristofferson, dans son premier grand rôle au cinéma, photo en tête de texte), hors-la-loi plus jeune que lui. Garrett a vieilli, pour lui les temps ont changé. Le Kid, au contraire, personnifie le romantisme et l’esprit de liberté d’un Ouest sauvage rattrapé par la civilisation et d’autres formes de violence : le capitalisme et la propriété. Peckinpah ancre son film dans un contexte historique qui lui tenait à cœur, montre la fin des mythes du western et la survie provisoire des rebelles de l’Amérique. Le scénariste Rudy Wurlitzer, auteur du génial Macadam à deux voies de Monte Hellman, apporte à cet ultime western du grand Sam une dimension existentielle.
Le film se transforme en poème élégiaque, accompagné par les complaintes du troubadour Bob Dylan, auquel Peckinpah confia un petit rôle énigmatique de témoin de la poursuite entre les deux hommes. Une poursuite qui n’en est pas une puisque Garrett, qui s’acquitte de sa mission avec lassitude et dégoût, retarde le moment où il devra tuer son ami. Le film privilégie donc les temps morts, moments d’errance ou de sur-place, pour une traque au ralenti qui dure quelques semaines, mais pourrait aussi bien s’étaler sur plusieurs mois. Les rencontres et les morts violentes qui parsèment la ballade des deux antihéros donnent au film un ton désenchanté : les cow-boys sont des vieillards maltraités par la nouvelle génération, les duels sont truqués, les adversaires désarmés abattus de sang froid. Saisi par la mort dans toute sa force et sa beauté, Billy le Kid abandonne son meurtrier ami à un devenir fantomatique dans un monde en décomposition. Parvenu au bout de son périple, Coburn délivre la morale du film dans une sentence rageuse : « What you want and what you get are two different things. »
Peckinpah était un Pat Garrett qui s’était rêvé en Billy the Kid. Brisé par le système hollywoodien, contraint à des compromis, Il aura cependant pu mener jusqu’au bout une poignée de chefs-d’œuvre (dont ce film et le suivant, Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia), authentiques gestes d’insoumission et de désespoir jetés à la face de l’Amérique.
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