Traces

Quelque part dans la campagne du nord du Portugal, dans les années 1990, une tradition païenne prétendument festive anime chaque année une petite communauté villageoise : vêtus de sacs de jute et masqués de cagoules, les jeunes hommes du cru sèment la terreur en courant derrière les filles pour leur assener coups de fouet et brimades. Enhardis par le vin et les exhortations de leurs aînés, un groupe de lycéens s’en prend violemment à une jeune camarade, avant de passer à tabac Laureano, l’un des leurs, qui tentait de défendre la jeune fille. Vingt-cinq ans plus tard, les adolescents de jadis sont devenus des quadragénaires bien intégrés – entrepreneurs, pères de famille… À l’exception de Laureano : handicapé des suites de l’agression, il vit en paria à l’écart du village, avec pour seuls compagnons une bande de chiens errants. Le soir de la fête annuelle, désormais expurgée de ses archaïsmes et de sa violence rituelle, un drame fait remonter à la surface la brutalité du passé.
 
École de la violence
La scène inaugurale donne le ton : comme venu du fond des âges, un rite de passage à la brutalité sidérante, théâtralisant la toute-puissance virile et les violences sexuelles envers les femmes, réveille le pire de ce que l’on nomme aujourd’hui la masculinité toxique. Et dévoile les rouages d’une véritable école de la violence : si, deux décennies plus tard, la société villageoise a changé, s’est parée d’un vernis de modernité – incarnée par ces éoliennes qui ponctuent désormais le paysage battu par le vent –, le mal, faute d’avoir été exorcisé à la racine, est voué à se répéter d’une génération à l’autre, et à s’abattre sur les mêmes victimes expiatoires… Pour ce film à la noirceur hallucinée, d’une grande maîtrise formelle, le réalisateur Tiago Guedes (auteur de la minisérie remarquée Le domaine), s’est associé au scénario à son compatriote le dramaturge et metteur en scène de théâtre Tiago Rodrigues, aujourd’hui directeur du Festival d’Avignon, qui lui a insufflé de faux airs de tragédie grecque. Ou la parabole des pires travers qui peuvent frapper des sociétés humaines dépourvues de garde-fous.