L’odyssée de Runa

En 2021, Alexandre Loukachenko, président et dictateur biélorusse, tendait un piège sinistre à des milliers d’exilés irakiens, syriens ou libanais : attirés par des visas de tourisme, ces derniers étaient ensuite conduits vers la frontière polonaise avec la promesse de rejoindre l’Union européenne sans encombre ; ils n’auraient que la forêt à traverser… Runa, ses parents et ses quatre petits frères, Kurdes d'Irak, étaient au nombre de ces candidats à l’exil. Refoulés par la Pologne, ils ont passé dix-huit jours dans les bois, sous la neige, sans nourriture et sans protection. Quand la famille a enfin été recueillie par une association polonaise, Avin, la mère de Runa, en grave hypothermie, avait perdu l’enfant qu’elle portait. Elle sera emportée quelques jours plus tard par une septicémie. À 16 ans seulement, l’aînée doit devenir une nouvelle mère pour ses frères, épauler un père anéanti par le chagrin, et surmonter les obstacles administratifs de son nouveau pays d’accueil.

Litanie d’épreuves
Les premières séquences sont déchirantes. En apprenant la mort d’Avin, son mari est prostré, Runa, sidérée ; ses petits frères hurlent leur colère dans les couloirs de l’hôpital. Depuis l'arrivée de la famille en foyer d’accueil, la caméra d’Agnieszka Zwiefka a suivi la jeune Kurde des mois durant, au fil d’une longue litanie d’épreuves : surmonter le deuil, apprendre l’anglais puis le polonais pour servir d’interprète à sa famille, trouver sa place à l’école, aider son père à chercher un travail et à défendre sa demande d’asile… et tenter de vivre, enfin, une vie d’adolescente ordinaire. Pudique sur ce qu’elle ressent, Runa dessine sur un petit carnet : prolongeant ses croquis, des séquences d’animation viennent illustrer ses peurs inexprimées, complétant ce poignant portrait d’une jeune héroïne dont l’intelligence, le courage et la maturité forcent le respect.