Monica in the South Seas

En 1924, deux ans après le splendide Nanouk l'Esquimau, Robert Flaherty, documentariste pionnier désormais reconnu, tourne avec sa femme Frances Moana, un long métrage qui montre la vie quotidienne d’une famille sur l'île samoane de Savai’i. Considéré à sa sortie en 1926 comme un témoignage authentique d’une culture primitive, il connaît un fort retentissement, écho à l’immense succès de Nanouk. Mais avec l’avènement du film sonore, en 1927, Moana, comme bien d’autres films muets, tombe dans l'oubli. Cinquante ans plus tard, en 1975, Monica, la benjamine des Flaherty, née en 1920, retourne en Polynésie sur les traces de sa petite enfance. Son but : créer une bande-son qui pourrait contribuer à faire redécouvrir cette œuvre pionnière du film documentaire et de l’ethnofiction. Mais sa quête se heurte à la question de l’authenticité de Moana. Sur place, l’approche ethnographique de ses parents apparaît faussée aux yeux de Monica, qui y voit une forme d’appropriation de la culture, à travers la peinture d’un âge d’or des mers du Sud, imaginaire et utopique. Cela n’empêchera pas Moana with Sound d'être considéré comme le meilleur travail de postsonorisation jamais effectué, avec un résultat époustouflant, criant de réalisme selon les critiques.

Couches mémorielles 
Monica Flaherty a voulu réenchanter le passé en lui insufflant l'oxygène du présent, en créant un film parfait, qui abolisse le temps et “synchronise” les époques, en les mettant en conformité. Cette démarche aussi poétique que respectueuse du réel s’est au final confrontée à une réflexion éthique dont rend compte superbement Monica in the South Seas. Son auteur, Sami van Ingen, l’arrière-arrière-petit-fils (finlandais) des Flaherty, a hérité de toutes les archives familiales après la mort de Monica en 2008. Au-delà du récit de ce retour sur les îles samoanes, son film sonde le langage documentaire et son rapport avec la réalité “objective”. Quel est le Moana “originel” ? Le produit hollywoodien, que Paramount a vendu comme une “fiction réaliste” ? La version sonore créée par Monica n’est-elle pas plus authentique ? Ou cette dernière a-t-elle réalisé sans le savoir une bande-son imaginaire de sa lointaine enfance ? Un magnifique voyage dans le temps, riche de ses multiples couches mémorielles et de ses différents niveaux de lecture.