Vortex

Dans son appartement en forme de U, bourré de souvenirs, de livres et d'affiches militantes, un vieux couple d'intellos de gauche parisiens – elle, psychiatre retraitée atteinte de la maladie d'Alzheimer, lui, critique de cinéma au cœur fragile qui a gardé son accent italien – dérive vers la mort. Coupés l'un de l'autre, ils sont aussi la plupart du temps livrés à eux-mêmes et meublent le vide de simulacres d'activité. Conscient du caractère intenable de la situation, mais incapable de trouver une solution, leur fils unique, ancien toxicomane et père lui-même d'un petit garçon, se débat avec une existence précaire et la tentation de la rechute. 
 
Par morceaux 
En split-screen, filmés chacun par une caméra différente, même quand ils sont côte à côte, ces deux naufragés tournent en rond dans le labyrinthe de leur appartement, envahi par une accumulation incontrôlée d'objets devenus ennemis. Habitée par une terreur muette, elle erre sans fin, parfois jusqu'aux boutiques du quartier, cherchant à s'accrocher à de vieux repères en voie d'effacement. Lui tape avec l'énergie du désespoir sur sa machine à écrire pour rédiger, dit-il, un livre sur le cinéma et le rêve, tout en quémandant contre l'évidence un peu d'espoir à une liaison passée. Gaspar Noé, qui a dit considérer Amour, de Michael Haneke, comme l'une des plus belles histoires d'amour jamais racontées, accomplit à son tour une prouesse : transmettre par le cinéma l'expérience de la vie quand elle s'en va par morceaux. À la fois trash, asphyxiant et d'une vérité bouleversante, le film repose sur trois acteurs aussi inattendus que magnifiques : Françoise Lebrun, la Véronika de La maman et la putain, le roi italien de l'épouvante Dario Argento, et Alex Lutz, l'ex-Catherine du duo Catherine et Liliane, sur Canal Plus. Avec une lucidité implacable et une intense compassion pour ses personnages, Gaspar Noé a tourné en semi-improvisation, entre deux confinements, cette œuvre dédiée "à tous ceux dont le cerveau va se décomposer avant le cœur".