Les filles d’Olfa

Olfa Hamrouni a quatre filles : Rahma, Ghofrane, Eya et Tayssir. Le père n’ayant eu de rôle que biologique, elle les a élevées seule, dans une relation à la fois fusionnelle et intransigeante quand il s’est agi de faire respecter les préceptes selon lesquels elle-même avait été éduquée. Dans le contexte qui a suivi la révolution de 2011 en Tunisie, les aînées, Rahma et Ghofrane, ont trouvé dans la religion radicale une voie d’affirmation, au point de quitter le foyer familial pour épouser deux émirs de Daech. Alors que Rahma et Ghofrane se trouvent aujourd’hui emprisonnées en Libye, Olfa a accepté, aux côtés d’Eya et de Tayssir, de participer à un projet documentaire particulier : avec l’aide de trois comédiennes jouant leurs personnages, et d’un comédien, elles reviennent sur les événements, rejouant devant la caméra des moments clés de leur histoire – un dispositif cathartique à travers lequel elles se confrontent à nouveau au départ des aînées, ainsi qu’à elles-mêmes.

Au cœur du drame
Depuis que ses filles sont parties, Olfa Hamrouni est régulièrement intervenue dans les médias pour témoigner et dénoncer l’inaction de l’État tunisien face à leur situation, loin d’être unique dans le pays. Interpellée par cette affaire, la réalisatrice Kaouther Ben Hania (La belle et la meute, L'homme qui a vendu sa peau, La voix de Hind Rajab, Lion d’argent à la Mostra de Venise) a senti qu’il y avait là, au-delà du phénomène sociétal, une histoire familiale à explorer. Mais comment faire naître chez Olfa une parole autre que celle proférée dans la sphère publique – une parole qui ne s’apparente pas seulement à un récit de faits, mais touche à des zones plus profondes, voire inconscientes ? La réponse se trouve dans l’usage de la représentation, dotée d’un étonnant pouvoir. Participantes volontaires à ce laboratoire documentaire aux allures de thérapie de groupe, Olfa et ses filles se révèlent de formidables actrices de leur histoire. Aux soubassements du drame, il y a la relation névrotique entre deux générations de femmes – la nouvelle en quête d’émancipation, la première prisonnière de sa propre éducation – et, en face, des hommes absents ou malfaisants. Cet édifiant portrait de groupe donne paradoxalement lieu à un film en constant mouvement, porté par l’étonnante vitalité de ses protagonistes.