Olivier Père

Tchao pantin de Claude Berri

L’horizon de Berri cinéaste, au-delà de sa veine introspective et névralgique, c’est le cinéma populaire français, des années 30 à 50, qu’il va prolonger en produisant et réalisant des comédies et des films d’auteur grand public, en s’appuyant sur le star system ou en favorisant la reconnaissance de comédiens. Parmi ceux-ci il y avait Coluche, qu’il avait déjà fait tourné tout jeune dans Le Pistonné, plus tard dans Le Maître d’école et auquel il offre en 1983 son premier grand rôle dramatique – ce sera malheureusement aussi le dernier – dans Tchao pantin, diffusé le lundi 14 septembre à 20h50 sur ARTE, dans le cadre de notre cycle Claude Berri.

Polar urbain particulièrement glauque situé dans les quartiers nord de Paris pas encore réhabilités – étonnant de voir aujourd’hui Bastille, République et même Barbès et Stalingrad sous un jour si lugubre – Tchao pantin est un titre emblématique du cinéma français des années 80. La performance bouleversante de Coluche, méconnaissable, la découverte de Richard Anconina excellent lui aussi ne doivent pas faire oublier que Tchao pantin n’est pas seulement un film d’acteurs. C’est le premier film – le seul ? – où Berri ose exprimer un surmoi de cinéaste, épaulé par le plus grand directeur de la photographie de sa génération, Bruno Nuytten – également crédité collaborateur artistique – et une légende vivante du cinéma, le décorateur Alexandre Trauner, complice régulier de Marcel Carné mais aussi de Billy Wilder ou Joseph Losey. Le naturalisme des films de Berri se teinte ici d’une stylisation de la lumière et des décors, mariage réussi entre le modernisme clinquant des eighties – prédominance du bleu nuit – et le cinéma de qualité à l’ancienne qui sublime des espaces quotidiens ou sordides – immeubles délabrés de Pigalle – savamment scénographiés par Trauner. Berri passe opte ici pour un nouveau réalisme poétique et place son film dans la lignée de ceux de Carné, Clouzot ou Allégret dans un Paris populaire qui existe encore, mais en voie de disparition, à l’image de son antihéros au look désuet – petite moustache à la Luis Mariano, cheveux gominés, sorte de Raimu ou Harry Baur échoué parmi les punks du Petit Gibus.

L’alibi du film noir encourage peut-être Berri dans ses parti-pris esthétiques. L’argument policier est pourtant anecdotique dans Tchao Pantin. C’est avant tout l’étude d’un personnage dépressif au dernier degré, détruit par le deuil et le sentiment de culpabilité – un enfant mort d’overdose, une vie de famille saccagée et une déchéance patiemment entretenue dans l’alcool. La croisade vengeresse de Lambert, ancien flic devenu pompiste, qui voit dans un petit dealer arabe l’image de son fils, ne fera qu’accélérer sa chute. Effets de style dans Tchao pantin, mais aussi effets de réel, comme toujours chez Berri. Le désespoir de Lambert se nourrit du mal-être de son interprète Coluche, dans une période très sombre de son existence.

 

 

 

 

 

 

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