Olivier Père

Le Chat de Pierre Granier-Deferre

ARTE diffuse ce soir à 20h50 Le Chat (1971) de Pierre Granier-Deferre, avec Jean Gabin et Simone Signoret. Dans un pavillon de Courbevoie, un vieux couple se voue une haine féroce et muette. Deux monstres (au sens propre et figuré) du cinéma français et un roman de Simenon accouchent d’un drame psychologique d’une grande noirceur.

Pierre Granier-Deferre appartient à ce qu’on a appelé la « Nouvelle Qualité Française », terme péjoratif pour désigner les cinéastes français apparus dans les années 70 et rattachés à une certaine tradition du cinéma hexagonal, populaire mais avec des ambitions artistiques, réalisant des films comme si la Nouvelle Vague n’avait jamais existé. Contrairement à leurs aînés Duvivier, Clouzot, Autant-Lara ou Clément cette génération intermédiaire de cinéastes plus ou moins auteurs ou faiseurs n’a jamais vraiment été réhabilitée. Parmi eux, Pierre Granier-Deferre était sans doute l’un des plus intéressants, et il a quelques vraies réussites à son actif comme Adieu poulet, Une étrange affaire ou Le Chat de ce soir. Granier-Deferre s’inscrit de manière délibérée dans une généalogie patrimoniale, en choisissant d’abord de diriger Jean Gabin dans ses deux premiers longs métrages (La Horse, Le Chat) puis d’autres grands noms du star system tricolore (Delon, Signoret, Romy Schneider) et en adaptant à plusieurs reprises des romans de Georges Simenon, qui lui donnera la matière de quelques-uns de ses meilleurs films : Le Chat, mais aussi La Veuve Couderc et Le Train.

Le roman – extraordinaire de cruauté et de réalisme – est fidèlement adapté à l’exception de quelques modifications pas toujours heureuses (les flash-back impressionnistes sur leur jeunesse amoureuse, alors que chez Simenon ils s’étaient mariés passés la soixantaine.) C’est le dernier grand rôle de Jean Gabin, et un retour aux origines prolétaires de son personnage de cinéma, alors que la fin de sa carrière était marquée par l’embourgeoisement et l’auto caricature. Dans Le Chat il joue un typographe à la retraite, ancien syndicaliste, sur un registre sobre et émouvant, loin des cabotinages pénibles et gâtifiants des films dialogués par Audiard. L’extrême minutie de Granier-Deferre est à l’œuvre dans une mise en scène qui combine avec maîtrise décors naturels et studio, une grande partie du film se déroulant à l’intérieur du pavillon du couple, figé dans le temps et les souvenirs.

L’intérêt du Chat, au-delà d’une description implacable de la vieillesse et de l’approche de la fin, réside aussi dans son traitement, mi sociologique, mi poétique, des transformations du paysage urbain de la banlieue parisienne à l’orée des années 70, avec ses nombreux chantiers d’aménagement. Cela donne lieu à des scènes d’ambiance saisissantes, où l’on voit la destruction des pavillons populaires au profit des grands ensembles, et qui ajoutent au caractère profondément pessimiste, et même dépressif du film : Courbevoie saisi dans sa réalité presque documentaire de métamorphose lugubre devient la projection de ce vieux couple en train de disparaître en même temps que son quartier, ses habitudes, mais aussi toute la classe ouvrière.

Simenon est un immense écrivain qui a eu beaucoup de chance avec le cinéma, souvent adapté avec talent, de Renoir à Chabrol en passant par Duvivier, Autant-Lara, Decoin, Verneuil, Tavernier, Granier-Deferre… La prochaine fois, ce sera par Mathieu Amalric devant et derrière la caméra avec La Chambre bleue avec un film produit par Paulo Branco et coproduit par ARTE France Cinéma, qui sortira l’année prochaine. En attendant, on vous invite à lire ou relire le roman, génial.

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