Olivier Père

Le monde enchanté de Jacques Demy

Demain débutent la rétrospective et l’exposition « Le monde enchanté de Jacques Demy » à la Cinémathèque française, qui se concluront le 4 août.

 

Nous avons assisté hier au vernissage de cette très belle exposition dont le commissaire est Matthieu Orléan. Elle propose un parcours de film en film avec de nombreuses photos, documents de tournages, costumes et décors (les papiers peints des Parapluies de Cherbourg, les robes de Peau d’âne, pour le plaisir des yeux) et extraits. Il était émouvant d’observer parmi les premiers visiteurs Jacques Perrin devant les photos du prince de Peau d’âne et marin des Demoiselles de Rochefort, ou Jean-François Stévenin revoir la scène en noir et blanc de la manifestation d’Une chambre en ville, où il joue un ouvrier. Il y avait aussi des moments bouleversants lors du concert de Michel Legrand en hommage à son ami et complice cinéaste.

On pourra aussi voir des films de la cinémathèque privée de Jacques Demy (son panthéon personnel, de Bresson à Ophuls en passant par Nicholas Ray, Renoir, Cocteau et Visconti) et un cycle sur les chansons dans le cinéma français. L’occasion surtout de se replonger dans la filmographie d’un cinéaste que nous chérissons particulièrement, et sur lequel nous reviendrons sans doute bientôt. Nous avons coécrit avec Marie Colmant un livre intitulé Jacques Demy, publié aux Editions de La Martinière en 2010 avec la complicité bienveillante et active d’Agnès Varda et de ses enfants Rosalie Varda et Mathieu Demy qui permit d’accueillir dans le livre de nombreux documents iconographiques inédits autour de l’œuvre et du travail de Jacques Demy. A cette occasion nous avions aussi demandé à Christophe Honoré, un cinéaste et écrivain qui n’a jamais caché son admiration pour Demy, d’écrire sur l’auteur de Lola.

Faute de place ce beau texte ne fut pas intégré au livre et je le publie ici pour la première fois, avec la permission de Christophe Honoré et mes plus vifs remerciements.

 

« Un temps Demy » par Christophe Honoré

« Dès que le nom de « Demy » est posé sur le tapis, ma mémoire me bombarde. Et alors que je tente d’échapper au plaisir des balles, à la recherche d’une idée générale, surgit une clef en forme de question : existe-t-il un seul flash back dans son œuvre ? Ma mémoire trie d’elle même, elle adore ça s’exciter sur Demy, ce territoire la comble. Et le seul flash back qu’elle me propose, c’est le travelling panoramique du Passage Pommeraye dans Les Parapluies de Cherbourg, plan en couleurs échappé de Lola en noir et blanc, du temps au Roland Cassard était un employé de banque démissionnaire, il est devenu depuis diamantaire. Du temps où Demy n’avait pas l’argent pour faire de Lola la comédie musicale qu’il avait écrite. On pourrait dire que c’est un plan qui raconte d’où vient l’histoire, mais il me semble plus juste de le considérer comme un historique. Demy prend acte du temps écoulé entre les deux films, du travail fourni. Donc pas de flash back chez Demy, autant l’affirmer même si la vérification film par film m’apporterait certainement des exceptions. Mais à l’absence de cette figure imposée, viennent se mêler immédiatement les multiples personnages coincés par le passé, Lola, Monsieur Dame, le Roi de Peau d’âne, Montand, La Colonel… Pas de flash back mais pas non plus l’idée d’un présent tyrannique comme chez Godard. Dans les films de Demy, le passé est retenu par les personnages, il est évoqué (chansons, répliques, costumes) mais jamais décrit, ni convoqué par le récit. Face à cette mémoire qui pèse comme la pierre, les films aspirent toujours à un idéal, plus qu’à un avenir, et le personnage emblématique de cette position, c’est Maxence, qui est capable de peindre son idéal féminin mais incapable de le débusquer dans les rues de Rochefort. Cette rêverie de l’idéal fonctionne comme une réminiscence, c’est une promenade, sourire aux lèvres, en rien un programme, une ambition qui se donne les moyens. C’est une légèreté, qui n’oublie pas la donne tragique de chaque scénario, la catastrophe est toujours annoncée. Le présent de Demy est un temps de collisions. L’idéal doit advenir. L’idylle a eu lieu. En attendant, pour aujourd’hui, faisons avec le bonheur, qui n’est pas gai. »

 

 

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