L’Italien Gualtiero Jacopetti (1919-2011) et ses complices Franco Prosperi (1928 -) et Paolo Cavara (1926-1982) investissent au début des années 60 le champ du documentaire racoleur et mensonger et obtiennent un triomphe mondial, accompagné d’une vague de scandale assez retentissante, avec Mondo Cane (1963), présenté en compétition au Festival de Cannes. Sous prétexte de faire découvrir à un public voyeur les extravagantes anomalies de l’humanité, Jacopetti ordonne une série de vignettes où les sketches reconstitués voisinent avec des images d’actualités à l’homogénéité douteuse. La mode lancée par Jacopetti engendre en Italie et sur d’autres territoires une longue liste de titres « Mondo » allant de la plus inoffensive débilité à la plus offensante obscénité. Mondo Cane n°2 (absent du coffret Potemkine) est la contribution des auteurs du premier film à cette généalogie ingrate, avec un montage de scènes inédites souvent tartignoles, parfois choquantes, de Mondo Cane. Scandaleux du point de vue de l’éthique documentaire, le travail de Jacopetti véhicule en outre des relents nauséabonds de colonialisme, de racisme et d’hypocrisie sexuelle. La plus grande erreur serait de considérer les films « Mondo » comme des documentaires « objectifs », respectueux de la réalité. Ce sont des essais cinématographiques, et plus précisément des pamphlets qui utilisent des images réelles (ou prétendues telles) pour distiller un message politique, ou plus souvent une vision cynique et nihiliste du monde et de l’humanité, en décidant d’en montrer les aspects les plus grotesques, répugnants ou violents (guerres, famines, tueries), dans le monde occidental, ou dans les pays sous-développés, ou dans la nature sauvage (exotisme de pacotille), en utilisant les procédés de l’exagération, de la manipulation et de l’accumulation. La plupart de ces films sont répréhensibles sur le plan moral, en raison de leur mercantilisme, de leur exploitation de la misère et de la violence, de leur idéologie réactionnaire, mais ils sont parfois passionnants sur le plan formel – surtout ceux de Jacopetti qui a démontré par la suite un réel talent dans l’emphase, comme en témoigne son film Les Négriers (Addio Zio Tom, 1971) disponible en Blu-ray chez un autre éditeur, Le Chat qui fume). Le coffret récapitulatif proposé par Potemkine a sélectionné quatre films, parmi lesquels La Cible dans l’oeil (L’occhio selvaggio) de Paolo Cavara, long métrage de fiction pensé par son réalisateur comme une auto-critique et un antidote au cinéma Mondo, et en particulier Africa Addio, pamphlet contre la décolonisation de l’Afrique subsaharienne, dont il dévoile les coulisses crapuleuses. Sur ce tournage, Jacopetti fut en effet accusé d’avoir participé à la mise en scène d’une exécution capitale, montrée dans le film.
Le coffret propose un film à part, qui n’est pas italien mais japonais : l’éprouvant The Killing of America (1981) écrit par Leonard Schrader, le frère de Paul, sur la prolifération endémique de la violence dans la société américaine (assassinats politiques, meurtres de masse, violences raciales, délinquance, tueurs en série). Cette fois-ci toutes les images choquantes que l’on voit dans le film ne peuvent être suspectées de trucage. L’hyperréalisme tragique de The Killing of America équivaut à un versant documentaire du Taxi Driver de Scorsese.
Ce coffret est extraordinaire pour plusieurs raisons : sa qualité éditoriale, son ambition, son audace, et la nature même des films qui y sont proposés, soit le continent noir du cinéma d’exploitation. On y trouve aussi un livre-somme sur le phénomène « Mondo », supervisé par le spécialiste Maxime Lachaud, qui étudie toutes les facettes du sous-genre le plus impur du cinéma, et soulève plusieurs questions philosophiques sur la représentation et l’enregistrement du réel. Je me suis exprimé en bonne compagnie sur ce coffret en particulier et le « Mondo » en général lors d’une rencontre organisée à la librairie Potemkine : https://www.youtube.com/watch?v=zM5rTKfnm8Y
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