Olivier Père

Les Yeux bandés de Carlos Saura

Il est intéressant de revisiter l’œuvre de Carlos Saura, dont le cinéma a beaucoup compté dans les années 1960 et 1970 avant de plonger progressivement dans l’oubli, effacé des radars par la movida et son plus célèbre représentant. Pourtant, avant le sacre de Pedro Almodóvar, Saura incarnait à lui seul le cinéma espagnol à l’international. Les Yeux bandés (Los ojos vendados, 1978) est un titre méconnu, qui appartient à une période transitoire de sa filmographie. Saura a perdu son meilleur ennemi, Franco, et son cinéma s’en trouve désorienté. Les Yeux bandés se présente comme une allégorie sur la torture. C’est un film mental qui mêle plusieurs niveaux de réalité, de temporalités et de fantasmes. Ce film devenu quasiment invisible depuis sa présentation en compétition au Festival de Cannes est une fiction politique tentée par l’abstraction et l’introspection. Autant dire qu’on n’est pas chez Costa-Gavras, même s’il est question de la torture et de la dictature en Amérique latine – on ne sait pas trop où ça se passe, l’Espagne n’est jamais nommée. Cette absence d’ancrage national en fait presque une incongruité dans le cinéma Saura, où la société espagnole est toujours très présente. On ressent l’influence de Bergman, autour du déchirement d’un couple (José Luis Gómez et Geraldine Chaplin alors compagne de Saura), et de Brecht, avec des effets de distanciation et de mise en abyme.

Les Yeux bandés est proposé en version restaurée, en DVD et Blu-ray, par l’éditeur LCJ, accompagné de bons suppléments qui éclairent un film peu aimable, représentatif d’un cinéaste en crise. L’historien du cinéma Sébastien Le Pajolec analyse la complexité de ce « film puzzle » et ses différents niveaux de lecture, tout en le replaçant dans l’oeuvre de Carlos Saura.

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