L’Homme de marbre (Człowiek z marmuru, 1977) est l’un des films les plus importants de Wajda, et par la même occasion du cinéma polonais. Le film retrace l’ascension puis la disgrâce d’un maçon stakhanoviste des années cinquante, Mateusz Birkut (Jerzy Radziwiłowicz), à travers l’enquête d’une jeune réalisatrice de la télévision, Agnieszka (Krystyna Janda), qui souhaite connaître la vérité sur cet ancien héros. Contre l’avis de ses directeurs d’étude, elle persiste à retrouver les traces de Birkut, notamment des archives filmées ou encore une statue de lui en marbre (inspirant le titre du film) au musée national de Varsovie, puis des personnes qui l’ont connu, cherchant à se rapprocher petit à petit de son mystérieux destin. C’est dans le cadre de la construction de la ville nouvelle de Nowa Huta, proche de Cracovie, que Birkut devient un symbole héroïque du travailleur. Wajda nous transporte ainsi d’une époque à l’autre, montant d’authentiques images documentaires, en composant lui-même d’autres, autour d’une trame principale, l’enquête d’Agnieszka, en 1976. L’Homme de marbre va au-delà de la dénonciation du stalinisme dans la Pologne de l’après-guerre. Il propose la psychanalyse d’un pays, la confrontation de deux temporalités par l’entremise d’un montage alterné et trois différentes natures d’images : vraies archives, fausses archives récréées par Wajda, reconstitution des années 1950 et style reportage pour la Pologne des années 1970. On est impressionné par l’énergie que déploie le film – sur fond de rock prog polonais ! – pour chercher la vérité sur la disparition d’un homme et le réintégrer dans l’histoire. L’Homme de marbre est la contribution majeure de Wajda au cinéma politique des années 1970 – contemporaine des films-dossiers de Rosi en Italie ou les fictions de gauche de Costa-Gavras en France. Le cinéaste se réinvente formellement à cette occasion, en adoptant un style reportage (caméra à l’épaule) dans la partie contemporaine, et en choisissant de mêler deux temporalités. En résulte un film bouillonnant et courageux, aussi survolté que son héroïne cinéaste qui ne tient pas en place et remue terre et ciel pour découvrir la vérité sur cet « ouvrier-héros » effacé de l’histoire officielle.
Célébré en son temps, gros succès public et critique au moment de sa sortie, L’Homme de marbre gagne à être revu aujourd’hui. Il est de nouveau disponible, pour la première fois en Blu-ray, grâce à l’éditeur indépendant Intersections, dans une excellente édition qui propose en bonus une longue présentation très informatif de Joel Chapron qui revient sur le contexte de la production et de la sortie de L’Homme de marbre, ses problèmes avec la censure politique, et qui restitue le film dans l’oeuvre de Wajda.
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