Un chauffeur de taxi adepte de la théorie des complots confie régulièrement le fruit de ses investigations délirantes à une jeune procureur au ministère de la Justice dont il est secrètement amoureux, et qui écoute ses élucubrations sans leur accorder le moindre crédit. Dans ses premières minutes, Complots (Conspiracy Theory, 1997) de Richard Donner éveille la curiosité du spectateur par la relative opacité de son exposition et surtout par sa relecture d’un des grands films américains des années 70, Taxi Driver de Martin Scorsese. En effet, Complots brosse le portrait d’un sociopathe frustre et obsessionnel, qui idéalise une femme aimée de loin, présentée comme une icône inaccessible – dans une belle scène, Mel Gibson observe de la rue Julia Roberts en train de faire de la culture physique par la fenêtre de son appartement. Comme dans le chef-d’œuvre de Scorsese, il y est aussi question d’un projet d’assassinat politique. Très condensée dans le prologue, cette influence s’efface peu à peu au profit d’un efficace thriller sur le thème du complotisme. Richard Donner et son producteur Joel Silver, devenus des maîtres du cinéma d’action durant décennie précédente grâce au succès de L’Arme fatale, livrent un divertissement survolté où les digressions de sa première partie, qui semblaient uniquement motivée par la folie du personnage masculin, servent ensuite à alimenter certains des rebondissements invraisemblables du scénario, signé par le talentueux Brian Helgeland (L.A. Confidential, Payback, Mystic River, Man on Fire…). Donner injecte dans Complots des éléments de films connus afin d’apporter au sien une identité cinématographique immédiatement repérable :Taxi Driver, mais aussi Un crime dans la tête (The Mandchurian Candidate, 1962) de John Frankenheimer. Lorsque Mel Gibson est kidnappé et subit la torture chimique du docteur Jonas (interprété par Patrick Stewart), Donner utilise les procédés visuels (grand angulaire, distorsions focales) employés par Frankenheimer, qui donna ses lettres de noblesse à la politique-fiction paranoïaque des années 60. Cette citation est explicitée lorsque Julia Roberts, quand elle découvre l’existence d’une société secrète qui conditionnait des tueurs en leur lavant le cerveau, s’exclame : « Comme dans The Mandchurian Candidate ! ». Pourtant, Complots n’est pas un simple produit maniériste et recycleur. 28 ans après sa sortie, le film de Donner revêt une dimension visionnaire inattendue, à la lumière des « fake news » et de la réalité alternative qui se propagent sur les réseaux sociaux et ont fini par contaminer la lecture de l’Histoire, le traitement de l’information et la vie politique mondiale.
Diffusion sur ARTE dimanche 15 juin à 21h.
Cher Olivier, merci de diffuser ce thriller politique efficace du grand Richard Donner, qui a donné ses lettres de noblesse au film d’action populaire et bien ouvragé dans les décennies 80 et 90. Il me semble qu’Hollywood a un peu plus de mal qu’auparavant à s’emparer de l’actualité américaine la plus brûlante pour la réinjecter dans des thrillers paranoïaques et percutants. Alex Garland a tenté le coup avec son Civil War, diablement efficace.
Merci encore, Olivier, pour votre programmation, qui nous régale.
Merci à vous. C’est peut-être le dernier très
bon film de Donner, à qui on doit quand même La Malédiction, le premier Superman, Ladyhawke…