ESC édite en combo DVD/BR (avec de nombreux suppléments exclusifs) deux titres qui comptent parmi les représentants les plus aboutis du « new french extremism », courant du cinéma fantastique et érotique français théorisé par la presse anglo-saxonne au début des années 2000, et qui regroupe à la fois des films d’auteur « arty » notables pour leur violence ou leur contenu sexuel (Trouble Every Day de Claire Denis, Romance de Catherine Breillat), des purs films de genre conçus pour le marché international et des œuvres inclassables, entre provocation et expérimentation (Irréversible, Enter the Void de Gaspar Noé, Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi). Ce mouvement a duré une dizaine d’années environ, avec la sortie à cadence régulière de tentatives de films de série B hexagonaux encouragées par Canal + qui créée la collection « french frayeur » destinée à alimenter son antenne. A l’instar du « cinéma du look » des années 80 (Beineix, Besson…), le « new french extremism » a fait long feu, mais il a laissé son empreinte dans le paysage cinématographique international. Souvent méprisés dans leur pays d’origine, mal reçus par le public et la critique au moment de leurs sortie en raison de leur violence ou de leur maladresse, ces films ont souvent rencontré plus de succès à l’étranger, notamment au Japon et dans les territoires anglo-saxons. Ils ont parfois été rentabilisés grâce au marché de la vidéo et des chaines câblées. On peut considérer Titane ou The Substance, récemment primés au Festival de Cannes, comme les héritiers de cette tendance.
Haute Tension et A l’intérieur appartiennent sans hésitation à la deuxième catégorie : des films de jeunes réalisateurs qui revendiquent leur passion pour le « slasher » américain ou le film « gore » italien, sans la moindre volonté auteuriste.
Avec Haute Tension (2003), Alexandre Aja fait preuve d’une ambition inhabituelle dans le cinéma français de l’époque et réalise un vrai film d’horreur bourré de chocs visuels. Aja prend le genre au sérieux, ménage un suspense efficace avec un rebondissement final qui lorgne du côté de Fincher et d’Hitchcock. Le résultat est loin d’être ridicule. Aja bénéficie de moyens confortables. Il emploie Philippe Nahon (vu chez Gaspar Noé) en tueur sadique, transforme Cécile de France et Maïwenn en « scream queens » et s’adjoint les services de Gianetto De Rossi, génie italien des trucages qui travailla aussi bien pour Federico Fellini que pour Lucio Fulci. ll s’en donne à coeur joie dans Haute tension, riche en effets mécaniques et maquillages sanguinolents.
A l’intérieur (2007) de Julien Maury et Alexandre Bustillo demeure un titre-phare du « new french extremism », avec Martyrs (2008) de Pascal Laugier, qui est encore plus « extrémiste ».
Depuis la mort tragique de son mari dans un accident de voiture, Sarah (Alysson Paradis) passe seule en enceinte son réveillon de Noël, dans une résidence pavillonnaire. Le lendemain matin, celle-ci doit entrer à l’hôpital pour accoucher. Tout est calme. Jusqu’au moment où quelqu’un vient frapper à sa porte. Derrière, une femme en noir prête à tout pour arracher l’enfant qu’elle porte en elle… Présenté en séance spéciale à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes, A l’intérieur avait déclenché des mouvements de rejet et même de colère de la part de certains spectateurs peu habitués à voir de tels films projetés sur la Croisette. Il est vrai que les deux réalisateurs s’emploient à franchir les limites du « gore » et du « body horror », comme s’ils voulaient dépasser leurs modèles italiens ou américains, sur les sujets de la maternité menacée et de l’intrusion d’une force maléfique dans une maison prise d’assaut. Revoir le film aujourd’hui permet d’apprécier avec davantage de recul ses qualités cinématographiques, sa terrible efficacité, la réussite des maquillages spéciaux. Seuls les effets numériques du fœtus dans le ventre ont mal vieilli. Béatrice Dalle est impériale en reine de la nuit, bien décidée à récupérer « son » bébé.
Comme Haute Tension, A l’intérieur reste réservé, on s’en doute, à un public averti, amateur d’émotions fortes.
Laugier a fait une belle carrière. The Tall Man était inquiétant, maîtrisé dans la forme, un peu mollasson dans le rythme, mais l’idée de scénario est forte (scénar de Laugier). Incident in a Ghost Land était très bon. On y décelait des réminiscences de Fulci (l’emmurée vivante notamment pour le côté onirique) et tout le film se tient bien. J’aimais bcp la photo sur celui-là, très charbonneuse et la séquence de la fuite à l’aube évoque fort certaines lumières de Massacre à la Tronçonneuse. Dommage qu’il n’ait rien plus fait après (traumatisé par l’accident de tournage peut-être).
Aja est un bon aussi: sa Colline a des Yeux est supérieur à l’original pour qui aime l’horreur sérieuse. Récemment, j’ai revu Wolf Creek 1 et 2. C’est une belle paire aussi! le 2 est un régal de slasher brutal, énergique et malin.
Pour Bertrand Marchal:
Après « Ghostland » Pascal Laugier a tourné en 2019 « Ils étaient dix », adaptation télévisuelle du « Dix petits nègres » d’Agatha Christie. Le film que je préfère de ce réalisateur reste de loin son premier, « Saint Ange », imparfait mais formellement assez élégant, pareil pour le duo Bustillo/Maury dont le coup d’essai « A l »intérieur » est un film d’horreur basique et modeste mais plutôt efficace. Je serais curieux néanmoins de voir leur dernier opus « Le mangeur d’âmes » sorti il y a quelques mois. En ce qui concerne Alexandre Aja, je n’ai pas revu depuis sa sortie « Haute tension » (apparemment l’adaptation non officielle du roman « Intensité » de Dean Koontz..) mais je garde le souvenir d’un film très sanglant!
Pour ma part, je défendrai becs et ongles Pascal Laugier très nettement supérieur à la plupart des films de cette vague parce que totalement intègre.
Selon moi son parcours cinéma est un sans faute exigeant qui n’invite pas à sourire car il sait happer, faire peur, nous retourner car ses films sont écrits ET mis en scène.
Martyrs et Ghostland pour ma part ont rejoint directement mon musée imaginaire de sensations fortes.
Et le scénario retors de The tall man est un modèle de réflexion sur l’enlacement social/ mythe.
C’est bien simple, les opus signés Ducournau ou Fargeat ne lui arrivent pas à la cheville. C’est affaire d’assimilation totale des références et oubli de celles-ci.
Et même si Saint Ange est un premier film, je lui trouve une tenue et une force qui en font un digne cousin français d’Amenabar ou Balaguero
PS:
Ce serait intéressant, plutôt qu’à tout prix viser l’elevated horror , les Français encouragent leurs cinéastes vraiment nourris aux meilleures sources et vraiment maîtres de leur langage tels P Laugier, L Hadzihalilovic…
A Cannes, j’ai pu voir The substance qui a des qualités… mais vraiment pas scenaristiques malgré le prix bizarre reçu par le film.
Quand on découvre Innocence, Martyrs ou Ghostland on constate un vrai sens de l’écriture. Idem pour Dans ma peau de M De Van.
Il serait intéressant que les plus doués de nos tenants de la French horror soient aidés régulièrement pour leurs nouveaux projets.
Récemment j’ai été assez atterré en découvrant Acide qui confirmait les fragilités de La nuée. Trop de prétexte sociétal et pas assez de vrai amour du genre.
A l’opposé, il m’a semblé que Vincent doit mourir et Nos cérémonies offraient de vraies propositions singulières avec un sens visuel aigu, de vraies inventions.