Olivier Père

Classe tous risques de Claude Sautet et Les Misérables de Claude Lelouch

Voici deux films qui encadrent la carrière de l’un des plus grands comédiens français, Jean-Paul Belmondo, et que l’on peut revoir sur ARTE à quelques heures d’intervalle. Classe tous risques (1960, diffusé en version restaurée) est considéré à juste titre comme le premier film « officiel » de Claude Sautet, après une comédie de commande qu’il renie, Bonjour sourire. Il s’agit d’un admirable film noir dans Lequel Lino Ventura interprète Danos, un truand en cavale – nous avons déjà longuement évoqué le film sur ce blog. Alors que Ventura tient le haut de l’affiche Danos, Sautet trouve en Jean-Paul Belmondo le jeune acteur idéal pour interpréter Éric Stark, jeune voyou, homme de confiance avec lequel il se lie d’amitié. Sautet a remarqué Belmondo, alors peu connu du grand public, grâce au film Les Tricheurs de Marcel Carné, dans lequel il ne jouait qu’un petit rôle car Carné ne le trouvait pas assez beau. Néanmoins, les producteurs refusent d’engager ce jeune acteur alors inconnu avec un physique si particulier, préférant davantage Laurent Terzieff ou Gérard Blain. Mais c’est sans compter la détermination de Sautet, grâce au soutien de Ventura, à l’origine du projet, qui a son mot à dire, qui arrive à imposer la présence de Belmondo sur le film. Belmondo s’y révèle excellent. C’est pour lui le début d’une longue relation avec le polar, qui se poursuivra avec d’autres grands films comme Le Doulos de Jean-Pierre Melville mais aussi des productions commerciales moins ambitieuses sur le plan cinématographique signées Labro, Verneuil ou Lautner. Classe tous risques connaît le malheur de sortir une semaine après A bout de souffle. Malgré un bon démarrage, c’est le film de Godard qui s’installe au box-office sur la durée et retient l’attention de la critique et du public. Il permet par la même occasion à Belmondo de devenir une vedette. Éclipsé par son rival de la Nouvelle Vague, Classe tous risques sera une déception pour son distributeur et devra attendre quelques années avant d’être réhabilité. Trente-cinq ans plus tard, Belmondo est la superstar indétrônable du box-office français et n’a jamais quitté les écrans depuis ses débuts fracassants avec Godard, Broca ou Melville. Il a même effectué un retour triomphal sur les planches en jouant en 1987 Kean et Cyrano de Bergerac sous la direction de Robert Hossein, juste revanche pour celui dont l’entrée à la Comédie-Française lui avait été refusée lorsqu’il avait 23 ans. On a le droit de considérer Les Misérables comme le couronnement d’une carrière qui marque la rencontre de deux monuments de l’art français, Victor Hugo et Belmondo, né pour jouer Valjean. Claude Lelouch n’est peut-être pas un monument du cinéma français, mais lui seul était capable d’adapter aussi librement, mais avec autant de respect, le chef-d’œuvre de Hugo en se gardant bien d’en livrer une simple illustration. En effet, le film se déroule sur deux époques. Belmondo interprète à la fois un bagnard au début du XXème siècle et son fils, ancien boxeur qui quarante plus tard, devenu déménageur, aide une famille de juifs à échapper à la police française et aux persécutions nazies. Belmondo incarne successivement une force de la nature enchaînée et prêt à tout pour s’évader, puis un homme simple et illettré qui va découvrir le roman de Hugo au contact de l’avocat juif qu’il conduit en zone libre. Belmondo va immédiatement s’identifier au personnage de Jean Valjean. Le film contient une troisième couche narrative, volontairement naïve et plus courte que les autres, dans laquelle Belmondo se projette dans le roman de Hugo. Lelouch n’est pas tout à fait le Hugo du cinéma qu’il aurait aimé être, mais on retrouve dans cette fresque historique, en résonnance avec Les Uns et les Autres et Partir, revenir, eux aussi consacrés la judéité et la période de l’occupation, son goût des récits à tiroirs, sur plusieurs générations, ce mélange de lyrisme et d’émotion primaire qui font de Lelouch le digne héritier d’Abel Gance. Belmondo se montre bouleversant dans Les Misérables, d’une rare intensité dans la première séquence, puis capable de ce mélange de décontraction, d’humour et de forte présence physique dans la suite du film, qui constitue un bel adieu de l’acteur à son public.

 

Classe tous risques : diffusion lundi 3 juin à 20h55 sur ARTE. disponible gratuitement en télévision de rattrapage sur ARTE.tv du 4 au 9 juin. Rediffusion à l’antenne le mercredi 5 juin à 15:h25

Les Misérables : disponible gratuitement en télévision de rattrapage sur ARTE.tv du 3 au 8 juin. Rediffusion à l’antenne le dimanche 9 juin à 13h45.

Voir aussi la deuxième partie du cycle consacré à Claude Lelouch sur ARTE.tv avec Toute une vie, Le Bon et les Méchants, Les Uns et les Autres, Partir, revenir, Tout ça… pour ça !, Roman de gare et le court métrage C’était un rendez-vous, tous disponibles jusqu’au 30 novembre. Et bien sûr notre longue conversation avec Claude Lelouch à popos des films précités.

 

Classe tous risques vient d’être réédité en BR en version restaurée dans la collection  » coin de mire »

 

Catégories : Actualités · Sur ARTE

6 commentaires

  1. MB dit :

    la réédition de CLASSE est absolument magnifique, et le 1:66 respecté est disons… magnifique (le dvd René Chateau avait cassé l’image en la réduisant) merci Arte

    • Olivier Père dit :

      Merci à celles et ceux qui ont participé à cette restauration méticuleuse du film en 4K, orchestrée par TF1 Studio en collaboration avec OCS et Coin De Mire Cinéma, à partir du négatif original. le BR UHD qui correspond à la version diffusée sur ARTE prendra en charge les technologies HDR10, HDR10+ et Dolby Vision, et sera présentée sur un disque de 100 Go avec une bande-son au format DTS-HD Master Audio 2.0.

  2. Fabrice dit :

    Bonjour,
    A propos des misérables, Gabin a été un Jean Valjean magnifique. Et sinon, Arte a-t-elle prévue une rétrospective autour de Gabin qui nous aurait soufflé ses 120 bougies cette année. Un hommage au « vieux » comme tout le monde l’appelait ?
    En ces temps mausades avec « la Bellle équipe » pour nous remettre du beaume au coeur ou un « Pépé le Moko « qui pousse la chansonnette. Bref, si Arte nous offrait le Gabin heureux de vivre parce qu’il y en a eu de ces films .

  3. Olivier Père dit :

    Pas une rétrospective à proprement mais nous allons programmer pour la première fois ou rediffuser prochainement sur ARTE plusieurs films avec Jean Gabin, fin 2024 début 2025 : En cas de malheur de Claude Autant-Lara, les deux Maigret de Delannoy, et deux films de Denys de La Patellière restaurés et présentés au Festival Lumière à Lyon, les Grandes Familles et Le Tonnerre de dieu d’après Bernard Clavel, un des derniers beaux rôles de l’acteur qui surprend par son humanisme et son émotion.

  4. Comet dit :

    En tout cas merci Arte pour ce Classe tous risques. Perso je ne l’avais jamais vu malgré son casting et ça a été une excellente surprise.

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