Olivier Père

Qui l’a vue mourir ? de Aldo Lado

Chi l’ha vista morire ? (traduction littérale : Qui l’a vue mourir ?) est l’un des plus grands « gialli » du cinéma italien, aux côtés des films de Dario Argento. Il était demeuré un secret bien gardé, longtemps inédit en salles et vidéo en France, avant que The Ecstasy of Films ne l’édite en DVD il y a quelques années, avant qu’il ne soit rapidement épuisé. Il est désormais disponible dans une édition BR définitive, grâce à Frenezy, dans un master superbe et accompagné de suppléments de qualité (entretiens avec Lado, le scénariste Francesco Barilli, l’actrice Nicoletta Elmi) auxquels j’ai participé.

Le réalisateur de Qui l’a vue mourir ? est Aldo Lado (1934-2023). Né à Fiume, Il occupe toute sorte de fonctions dans le cinéma, d’assistant (notamment sur Le Conformiste de Bernardo Bertolucci) à réalisateur de seconde équipe en passant par scénariste avant de réaliser ses deux premiers longs métrages en 1971 et 1972 pour le même producteur, Enzo Doria, qui avait produit Les Poings dans les poches (1965) et Merci ma tante (1968), respectivement les premiers films de Marco Bellocchio et Salvatore Samperi, tous les deux interprétés par Lou Castel – ce qui explique la furtive apparition de l’acteur lors de la scène de meurtre dans le cinéma de Qui l’a vue mourir ?. La corta notte delle bambole di vetro (Je suis vivant) et Qui l’a vue mourir appartiennent au genre du « giallo », soit ce thriller d’angoisse et de sadisme dont les cinéastes italiens se firent une spécialité dans les années 70, avec plus ou moins de sophistication et d’intelligence. Ces deux titres figurent incontestablement dans le haut du panier d’une production foisonnante et souvent racoleuse. Prague et Venise, villes tentaculaires et inquiétantes, somptueusement filmées, entraînent les protagonistes des films de Lado dans de vertigineuse intrigues criminelles, jusqu’au cœur d’horribles complots et de révélations atroces. Qui l’a vue mourir ? est un incroyable thriller morbide situé dans la Cité des Doges, à l’exception de son mémorable prologue, quatre ans avant le déroulement du récit : le meurtre d’une fillette par une silhouette féminine noire et voilée sur les pentes neigeuses des abords d’une piste de ski à Megève. Le générique se déroule sur les photos macabres du dossier de l’enquête, et l’affaire sera classée sans que l’énigme de ce crime gratuit soit résolue. Le film peut commencer.

Franco Serpieri un sculpteur résidant à Venise séparé de son épouse hollandaise accueille sa fille Roberta d’une dizaine d’années venue passer les vacances avec son père. L’homme fréquente un petit groupe d’amis intellectuels et artistes. Le père et la fille savourent leurs retrouvailles. Tandis que Franco s’absente quelques heures pour retrouver sa maîtresse, la petite Roberta qui jouait seule dans la rue est enlevée et assassinée. Son corps est retrouvé le lendemain flottant dans un canal de la ville. Rejoint par la mère de la petite, Franco va mener sa propre enquête pour retrouver le tueur, et lever le voile sur un réseau secret de corruption et de perversion.

Avec l’aide de la musique une nouvelle fois géniale de Ennio Morricone – une comptine entêtante chantée par une chorale d’enfants, Lado parvient à sublimer ce drame hanté, qui devient un requiem déchirant sur les thèmes du deuil, de l’innocence sacrifiée et de la culpabilité.

L’atmosphère pesante et la douleur des parents ravagés par la mort de leur enfant parviennent à rendre l’intrigue policière et la résolution finale particulièrement tordues – une sombre histoire de drogue, de folie et de pédophilie, avec en toile de fond une aristocratie et un clergé vénitiens en pleine déréliction – presque secondaires. Moins roublard que ses collègues Dallamano et Lenzi, moins prestidigitateur que Argento, le débutant Lado signe avec Qui l’a vue mourir ? un film profondément dérangeant qui anticipe par son sujet, son esthétisme décadent et certaines de ses images le célèbre Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg tourné l’année suivante à Venise.

Lado, disparu l’année dernière, n’est pas seulement l’auteur de trois films violents et cauchemardesques qui le firent connaître des amateurs de cinéma bis du monde entier. Je suis vivant, Qui l’a vue mourir ? et La bête tue de sang-froid. Il est aussi l’auteur de comédies sentimentales et érotiques, dans une veine beaucoup plus nostalgique et intimiste qui correspondait davantage à sa véritable personnalité : La Drôle d’affaire (La cosa buffa, 1972), La Cousine (La cugina, 1974) et La Désobéissance (La disubbidienza, 1981), d’après Moravia, tous les trois à redécouvrir d’urgence.

Ciao Aldo Lado ! (décembre 2022)

Ciao Aldo (novembre 2022)

 

 

Catégories : Actualités

Un commentaire

  1. Bertrand Marchal dit :

    J’ai enfin vu ce film. Je suis partagé.

    Il y a beaucoup de scènes tout à fait bien enlevées: les jeux des enfants, le cheminement éperdu du père dans les venelles de Venise, la ville elle-même qui surprend par son vide à une époque où les vénitiens se demandaient comment attirer les touristes!! Évidemment la musique entêtante de Morricone qui compose là une partition glaçante, très éloignée de ses westerns. Je retiens aussi quelques scènes bizarres au décalage bienvenu (la partie de ping-pong, la volière).

    Mais question intrigue, scandale et perversion, on est loin du compte. Le film reste très allusif, et échoue a transmettre le malaise attendu. Un défaut amplement corrigé dans le film de Roeg.

    Je regrette aussi la fin qui renoue avec ces clichés grand-guignolesques, tant cultivés par le cinéma bis (le mannequin qui tombe du balcon, filmé au ralenti et à 4 reprises est vraiment embarrassant!)

    Au bout du compte, une œuvre bâtarde qui hésite entre vison d’auteur et entreprise commerciale. Mais, l’un dans l’autre, ce qui en reste dans la mémoire est suffisamment fort et singulier pour le sauver comme un des chefs d’œuvre du giallo, avec les limites que le genre implique.

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