Olivier Père

Deux Flics à abattre de Ruggero Deodato

Pour inaugurer sa nouvelle collection (trois salves de trois films) consacrée au « poliziottesco » (les polars italiens des années 70, qui supplantèrent le « giallo » comme sous-genre exogène plébiscité par le public transalpin), Éléphant a choisi l’un des titres les plus controversés de ce filon, Deux Flics à abattre (Uomini si nasce, poliziotti si muore, 1976), demeuré inédit en France malgré son succès dans son pays d’origine. Le titre français choisi pour l’édition vidéo, très générique, relève presque du contresens : les deux principaux protagonistes ne sont à aucun moment rééllement mis en danger par leurs ennemis de la pègre mais se révèlent de redoutables tueurs. Il eut été préférable de rebaptiser le « poliziottesco » de Ruggero Deodato « deux flics qui abattent ». Le film affiche en effet une violence extrême mais aussi un traitement de son sujet et de ses personnages particulièrement cynique, associé à une idéologie plus que douteuse. Les deux flics en question sont moins des cibles des criminels que des criminels eux-mêmes, véritables tueurs à gages au sein de la police, qui exécutent sans sommation ou torturent les voyous et gangsters qui ont le malheur de croiser leur route, parfois avant même qu’ils aient le temps de commettre leurs délits. Le film fait l’apologie décomplexée d’une justice expéditive, en racontant la création d’une « section spéciale » constituée des deux amis (interprétés par les beaux gosses Marc Porel et Ray Lovelock) qui obtiennent de leur supérieur hiérarchique (Adolfo Celi) le « permis de tuer » et l’utilisent sans modération. Le film de Deodato devient ainsi une parfaite illustration de ce que la critique a longtemps reproché à ces petits polars du cinéma bis : leur dimension néo-fasciste, dans le contexte du chaos politique et du climat d’insécurité de la société italienne durant les années de plomb. En même temps, il s’agit d’un film un peu à part, et finalement pas si représentatif que ça à l’intérieur du courant « poliziottesco ». D’abord parce que ses deux héros (désignation à prendre avec des pincettes) sont de véritables sociopathes et tueurs de sang-froid sous leur allure de superflics cool. Ensuite, parce que le scénariste Fernando Di Leo n’avait pas hésité à les décrire comme des homosexuels vivant en couple. Choqué, Deodato a refusé cette option et a exagéré leur comportement machiste. On les voit quand même partager le même appartement… Contrairement à ses modèles américains (en particulier Magnum Force de Ted Post), le film refuse la moindre ambiguïté ou complexité au profit d’un hymne sécuritaire tellement outrancier qu’il en devient parodique. On reconnait à la fois la patte de Di Leo (humour noir, provocation) et de Deodato (complaisance dans la violence gratuite, vulgarité) dans ce polar à l’intrigue simpliste, mais qui file à cent à l’heure dès son générique, avec une course poursuite à moto dans les rues de Rome, de tout évidence tournée sans autorisation. Ce n’est pas le meilleur titre de la collection, mais le plus excessif.

Il faut lui préférer, également édités par Éléphant, La Police a les mains liées de Luciano Ercoli (excellent polar sur le terrorisme et la manipulation de groupuscules gauchistes par l’extrême-droite, avec une musique géniale de Stelvio Cipriani), ainsi que La mort remonte à hier soir de Duccio Tessari et Les Féroces de Romolo Guerrieri, deux solides adaptations de romans et nouvelles de Giorgio Scerbanenco.

 

Ruggero Deodato est décédé le 29 décembre 2022 à Rome, à l’âge de 83 ans. Cet ancien assistant de Roberto Rossellini, Sergio Corbucci et Antonio Margheriti, célèbre pour avoir réalisé Cannibal Holocaust en 1980 ainsi qu’une flopée de séries Z pas vraiment recommandables, possédait tous les attributs d’un gougnafier de la pellicule. A sa décharge, il a signé un très bon film d’aventures en 1977, Le Dernier Monde cannibale, qui a été restauré, projeté lors de la dernière Mostra de Venise sous le patronage de Nicolas Winding Refn et devrait faire sa réapparition en blu-ray prochainement. Qu’on se le dise.

 

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2 commentaires

  1. Comet dit :

    Bonjour. Avez-vous vu  »La guerre des gangs » d’Umberto Lenzi édité dans la même collection qui, selon moi, est extraordinaire. Et dans le même style  »polar violent » italien des années 70 il y a le très bon  »La Peur règne sur la ville » édité récemment par Le Chat qui fume.

    • Olivier Père dit :

      Vu il y a très longtemps j’espère trouver le temps de le revoir. jamais vu La peur règne sur la ville, merci du conseil. les films d’Ercoli et de Tessari sont formidables aussi.

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