Olivier Père

San Babila : un crime inutile de Carlo Lizzani

A Milan, la place San Babila est devenue le territoire de jeunes néofascistes qui tuent leur ennui et leur dégoût de la société en se livrant à de nombreux méfaits. Le film détaille l’emploi du temps d’un petit groupe de voyous désœuvrés dont la journée va s’achever sur l’odieuse agression d’un couple d’étudiants.

 

A côté des reconstitutions historiques, les films tirés de faits-divers occupent une place importante dans l’œuvre de Carlo Lizzani. Dans les deux cas, il s’agit de s’inspirer d’événements réels pour en tirer une leçon d’ordre moral ou en forme d’avertissement.

Soucieux de maintenir la pertinence de son regard sur les mutations de la société italienne, Carlo Lizzani change son fusil d’épaule au mitan des années 70. Après avoir réalisé plusieurs productions commerciales pour Dino De Laurentiis, sans renoncer à une approche politique de ses sujets, il signe coup sur coup Storie di vita e malavita et San Babila : un crime inutile, deux films à l’économie modeste, qu’on peut ranger dans la catégorie des « instant-movies ». On désigne sous cette appellation des films tournés en vitesse pour tirer parti d’un fait d’actualité récente. Ce terme anglo-saxon concerne la plupart du temps un cinéma d’exploitation avide de profiter de modes ou de sujets racoleurs pour proposer un produit opportuniste et mercantile. L’ambition de Lizzani est plus haute : il ne faut aucun doute que son projet vise à analyser et dénoncer des sujets brûlants avec sérieux et honnêteté. Malgré son attachement au mouvement néo-réaliste, Lizzani ne renonce pas totalement au cinéma-spectacle, et emprunte certaines figures de style au mélodrame (Storie di vita e malavita) ou au thriller (San Babila : un crime inutile). Lizzani et son scénariste Mino Giarda ont l’idée de porter à l’écran un drame survenu à Milan le 25 mai 1975 : l’assassinat d’un jeune homme Via Mascagni, près de la place San Babila, par cinq néofascistes. Le cinéaste souhaite enquêter sur les raisons de ce drame, et dévoile l’existence quotidienne de jeunes néofascistes qui se rassemblent dans un bar de la place San Babila, tolérés par la population et surveillés par la police, qui les emploie parfois comme informateurs et se garde d’intervenir lors des altercations qu’ils déclenchent sur la voie publique. D’origines aisée ou modeste, ils arborent des signes de reconnaissance vestimentaire (blousons de cuir, lunettes noires, médaillons et bottines) et se présentent comme des admirateurs d’Hitler et de Mussolini, en lutte contre l’ordre établi, le prolétariat ou la bourgeoisie incarnés par des parents qu’ils méprisent. Ils se livrent à des actes de violence et fomentent diverses attaques contre leurs ennemis gauchistes, communistes ou anarchistes, plus nombreux qu’eux dans les rangs des étudiants et de la classe ouvrière de l’époque. Lizzani osculte la bêtise, la lâcheté et l’impuissance de ces voyous qui ne sont dangereux que lorsqu’ils se déplacent en meute. Le cinéaste et son équipe ont bénéficié de l’expérience acquise sur le tournage de Storie di vita e malavita pour réaliser San Babila : un crime inutile. Le film est entièrement interprété par des acteurs non-professionnels, à l’exception de Brigitte Skay (la fille violée par un des membres du groupe). Lizzani juge son sujet trop contemporain pour y associer des acteurs connus. Par souci de réalisme, le film est tourné sur la véritable place San Babila et ses alentours, malgré les menaces et les risques d’affrontement. Le réalisateur a parfois recours à une caméra cachée, pour filmer des manifestations ou observer les réactions des passants devant les provocations des délinquants. Point culminant de la carrière de Carlo Lizzani, San Babila : un crime inutile demeure un témoignage cinématographique d’une grande acuité pour mieux comprendre le phénomène néofasciste durant les terribles années de plomb.

 

San Babila : un crime inutile (San Babila, ore 20: un delitto inutile, 1976) sort le mercredi 26 avril, distribué par Les Films du Camélia.

Le film est également disponible en blu-ray, aux éditions du Chat qui Fume.

Texte extrait du document édité à l’occasion de la rétrospective Carlo Lizzani.

 

 

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2 commentaires

  1. Comet dit :

    Bonjour,
    Il faut que j’arrête de lire votre blog, chaque fois ça me coûte de l’argent !! San Babila n’est plus disponible chez Le Chat mais heureusement on le trouve encore à un prix raisonnable sur internet. Merci pour vos conseils. Avez-vous vu la trilogie Damiano Damiani sortie chez Artus. Dans l’affirmative, qu’en pensez-vous ? Bonne journée.

  2. Olivier Père dit :

    Bonjour,
    je n’ai pas encore revu les films en blu-ray mais ils sont très bons, comme La mafia fait la loi ou confessions d’un commissaire… la veine politique de Damiani. Artus une fois de plus a fait du bon travail

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