Olivier Père

Moonrise Kingdom de Wes Anderson

ARTE diffuse Moonrise Kingdom (2012) mercredi 21 octobre à 21h. Avec ce septième long métrage de Wes Anderson, ses admirateurs sont en territoire connu. Direction artistique maniaque, goût de la symétrie et du surcadrage, thèmes familiaux et ambiance rétro rappellent les œuvres précédentes du cinéaste américain, qui a su construire un univers très personnel au sein du cinéma indépendant américain. Mais n’est-ce pas ce qui caractérise un auteur de films, reproduire des motifs et inventer des variations formelles ? Fort heureusement, Moonrise Kingdom séduit au-delà de la connivence qui s’est installé entre Anderson et les cinéphiles du monde entier qui attendent chaque nouvelle livraison du jeune dandy texan avec excitation. Si l’imagerie n’est pas absente de l’univers cinématographique d’Anderson, c’est avant tout la musicalité qui la caractérise. Cette dimension musicale du cinéma d’Anderson est évidente dans Moonrise Kingdom, rythmé par les Variations et fugue sur un thème de Purcell, par Benjamin Britten. Chez Anderson, chaque élément décoratif, mais aussi chaque acteur à la personnalité bien trempée apporte sa tonalité propre et s’intègre à la perfection dans un ensemble harmonieux et subtilement composé. On se souvient des chansons de David Bowie chantées en brésilien qui scandaient le récit de La Vie aquatique (le plus beau film d’Anderson selon moi) mais Moonrise Kingdom est encore plus musical, parce qu’il exprime un véritable art de la fugue. Au sens musical mais aussi au sens de la fuite. Le film raconte l’histoire d’une escapade amoureuse, sur une île au large des côtes de la Nouvelle-Angleterre, lors de l’été 65. Lui est un garçon orphelin et solitaire, elle une fille de bonne famille au comportement névrotique. Il s’échappe de son camp boy scout, elle de la maison familiale. Ils n’ont que douze ans. C’est la plus belle part de Moonrise Kingdom que ce bref et intense moment de liberté et d’intimité vécu par les deux enfants dans un cadre naturel idyllique, une crique en forme de paradis caché. On reconnaîtra dans ce passage du film un remake version culottes courtes, parfois plan par plan de Pierrot le fou de Jean-Luc Godard, lorsque Ferdinand et Marianne jouaient aux Robinson sur un plage. Il y a même une paire de ciseaux ensanglantée, preuve qu’Anderson et son complice scénariste Roman Coppola connaissent leurs classiques. On pense beaucoup au Godard en couleurs des années 60 – période où se déroule le film – et aussi à Truffaut lors d’une belle séquence de correspondance épistolaire – devant Moonrise Kingdom, film de cinéphile et encore plus de ciné fils. L’hommage et les citations sont toujours élégants et intelligents. Ces deux qualités caractérisent une fois de plus le cinéma de Wes Anderson. On pourrait y ajouter la mélancolie, puisque le film, malgré sa tonalité comique (beaucoup de gags visuels charmants) recèle beaucoup de tristesse et aussi de cruauté. Celles inhérentes à l’enfance, que le film évoque à merveille. Et beaucoup de désillusion en ce qui concerne les adultes, qui persistent ici à se comporter en enfants (hommes déguisés en scouts, ou parents immatures) tandis que les jeunes héros adoptent une attitude grave et solennelle, violente et passionnelle. L’ensemble de la distribution est remarquable, avec beaucoup de nouveaux arrivés dans le petit monde de Wes Anderson (Bruce Willis, Edward Norton, Tilda Swinton, Frances McDormand) plus les deux piliers Bill Murray et Jason Schwartzman. Quant aux deux jeunes adolescents Kara Hayward et Jared Gilman (leur toute première fois devant une caméra), ils sont merveilleux et méritent à eux seuls de voir ou revoir Moonrise Kingdom.

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